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Je me retrouvai encore une fois dans un endroit sombre et artificiel. Mes avis étaient que je devais arrêter de côtoyer le monde magique. Mais quelque chose me disait que je ne pourrais jamais revenir à ma douce vie d'avant. Jamais.

Je ne voyais rien, je ne ressentais rien, je n'étais rien. Je n'étais qu'une conscience qui flottait quelque part et je n'aimais pas ça. Je décidai de me créer un corps dans cet autre endroit. Je ne pouvais même pas fermer les yeux pour m'imaginer car je n'avais pas d'yeux. Mon dieu. Je devenais dramatique. On dirait bien que la fatigue et le désespoir me tenaient par la gorge. C'était bien ma veine. Je réussis tant bien que mal à me créer et un corps, et un jardin comme décor. Il n'était en rien accueillant et ce malgré mon envie d'avoir un endroit rassurant.

Le ciel était un savant mélange de noir, de gris et de blanc et des résidus de quelque chose de malsain flottait dans l'air. Je n'osais pas lever ma main pour toucher cette pollution : ces résidus puaient la magie mauvaise, et qu'importe que je ne sache pas faire de réelle différence entre bonne et mauvaise, je le savais au plus profond de mes tripes. Une vieille serre surplombait l'endroit. De multiples verres étaient détruits, et bien que je sois loin, je sus que des débris de verres parsemaient le sol. J'allais me déchirer les pieds pour aller jusqu'à cette serre. La végétation avait retrouvé ses droits dans cet espace. Elle bougeait, cassait les verres, s'élevait dans le ciel et s'abattait sur le sol, la serre, les plantations. Je n'eus jamais peur de la nature avant. C'était bien la première fois et je savais que j'allais en faire des cauchemars.

Les mauvaises herbes poussaient et s'asséchaient à une vitesse spectaculaire. En plissant les yeux, je vis dans un coin où des tomates auraient dû pousser, un ver faisant la taille de mon avant-bras. Il se précipita soudainement sur les plantes mortes, les mangea, s'agita et se transforma. Des spasmes le parcoururent, des bouches apparurent le long de son corps, des bras avec plusieurs coudes poussèrent et les doigts s'enfoncèrent dans la terre. Il se redressa, son corps visqueux laissa échapper des fluides toxiques, et il poussa un cri sauvage, un cri d'avertissement. Je me bouchai les oreilles tant j'eus mal. Je laissai malencontreusement échapper un couinement et il se tourna vers moi. Il avait un visage. Il. Avait. Un. Visage. Quelconque certes mais ça n'aurait jamais dû être possible. En fait, rien n'aurait dû être possible. J'observai le reste du jardin et je fus affligée de voir qu'il y avait trois monstres de ce type.

Je mis mon poing dans ma bouche pour ne pas crier. Pour ne pas pleurer. Déterminée et surprise de ne pas m'être écroulée, je regardai le chemin vers la serre. Parce que je savais une chose : la serre était le grimoire. Qui d'autre ? Tout ici respirait la magie mauvaise et dangereuse. J'avais certes dit oui mais ça ne voulait pas dire que me lier à ce truc allait être simple. Le chemin pouvait être rude si j'omettais les monstres. Il allait être impossible à traverser si je les incluais.

Un son strident s'éleva. Les branches des arbres de la serre s'élevèrent et finirent par se plier pour me désigner. Seigneur non ! Les monstres se tournèrent tous vers moi et s'agitèrent. Le plus proche – celui dont j'avais vu la transformation – se lança sur moi. Je réussis à l'éviter de justesse, lui et ses nombreuses mains qui étaient à l'évidence non coordonnées. Je courus plus vite que je ne l'avais jamais fait. Les deux autres monstres poussèrent un cri et voulurent m'intercepter. Ils se précipitèrent sur moi, près à m'attraper et nourrir leurs bouches. Je fis une roulade, m'explosant la colonne vertébrale pour échapper à leurs mains. Je rampai sur quelques centimètres avant qu'une des créatures m'ait attrapé par la cheville et me souleva.

Un cri d'horreur et de rage rugit, et je fus celle qui le poussa. Non ! Non. Non. Non. Mon pied libre frappa sauvagement une des articulations du monstre : il était hors de question que je me fasse manger par de telles créatures. Il me lâcha aussitôt, hurlant de douleur. M'écrasant au sol et gémissant de mon piètre atterrissage, je ne m'attardai pas et me relevai péniblement pour continuer ma course. J'entendis des ricanements, et je sus qu'ils étaient juste derrière moi. J'accélérai le pas mais j'oubliai que près de la serre se trouvaient des morceaux de verres.

Ush ROWTAG T1 : Monstres inattendusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant