Une fois froissé il ne peut plus être parfait

Partie 63 : Dîner de famille

Le lendemain, mon geôlier au bouc vient me chercher. Les bonnes personnes ont dû s'apercevoir que c'est lui que je craignais le plus pour l'envoyer spécifiquement et pas un autre. Il me montre le chemin en restant toujours un pas derrière moi, mais je me positionne de sorte à toujours avoir l'œil sur lui. Il me fout la trouille et il est hors de question qu'il sorte de mon champ de vision ne serait-ce qu'une seconde. 

On monte les escaliers en fer que j'ai gravis il y'a de ça quelques jours pour rencontrer Heat, ou de son vrai nom Killian St-James. Cet homme qui se cache en pleine lumière et qui ment aussi bien qu'un espion du KGB me fait à nouveau face. Il porte un costume comme à chaque fois que je l'ai croisé, toujours aussi avare de paroles, il me montre la porte au fond du couloir, me demandant tacitement de m'y rendre, ce que je fais « docilement ». 

Je reste une seconde devant la porte coulissante et l'ouvre. Une immense pièce se trouve devant moi, décorée avec beaucoup de goût, contrairement au reste de l'entrepôt. La lumière filtre par toutes les fenêtres. Je m'avance comme hypnotisé par le spectacle qui me fait face. Je foule le tapis persan sur lequel je ne me préoccupe nullement de laisser des traces dues à mon hygiène précaire. Je ne réagis pas devant la table à manger parfaitement dressée et trop grande pour les cinq chaises qui l'entourent. Je ne fais pas non plus attention à la cheminée qui crépite dans un coin et qui diffuse une chaleur que je n'ai pas ressentie depuis une éternité et qui me rappelle les bras d'un certain policier. 

Une fois arrivée devant les fenêtres qui semble teintées, puisque personne à l'extérieure ne prête attention à une fille crasseuse et pâle qui ouvre grand la bouche devant quelque chose d'aussi banal qu'un coucher de soleil. L'astre que je n'ai pas vu depuis un temps indéfini, un semblant de nature et de liberté que j'envie s'active devant moi. Bien qu'on soit sur une zone industrielle, je peux voir les arbres, et au loin, et les immeubles qui pointe leurs têtes vers le ciel ambré. J'ai peut-être commencé à disparaitre, mais le monde marche encore, et ce sentiment, autant dérisoire que pénétrant, me clou sur place.

Perdue dans mes pensées je sursaute quant quelqu'un que je n'avais pas remarquée tente d'attirer mon attention en m'attrapant par le coude. Je me retourne immédiatement et manque de me cogner contre la vitre en reculant d'un pas pour me mettre dans une position instinctuelle de défense. La jeune fille, je ne peux la qualifier qu'ainsi puisqu'elle semble ne pas dépasser les quinze ans, sursaute à son tour.

-  Excuse-moi, je ne voulais pas te faire peur. 

Elle me détaille d'un œil familier pendant quelques secondes et m'offre un sourire sincère, un geste innocent qui m'aide à relâcher ma vigilance pourtant si précieuse. Elle continue de m'examiner et fronce le nez, mon odeur doit être pestilentielle.

- Deuxième porte à droite, me dit elle d'une voix fluette, limite enfantine.

Je ne sais pas ce que je dois faire, mais je hoche tout de même la tête en reportant mon regard sur le battant blanc qu'elle me montre du doigt. Une fois devant, j'ouvre la porte et la referme derrière moi soulagée, une salle de bain !

La robe que j'ai dû choisir plutôt est accrochée sur un porte-manteau murale en fer forgé très détaillé qui doit couter l'équivalent de mon salaire annuel. Je ne m'attarde pas sur la somptuosité des lieux et ne réfléchis qu'une demi-seconde au fait que je serai exposé et vulnérable s'il s'agit d'un piège. Mais pourquoi toute cette mise en scène si c'était le cas ? Ni une ni deux, je me débarrasse de mon vieux jean usé et de mon t-shirt puant et me jette sous le jet d'eau chaude de la douche à l'italienne.

- Oh mon dieu !

Ce que ça peut faire du bien, un ruisseau presque noir se déverse dans le siphon à mesure que l'eau coule sur ma peau. La sensation est presque magique, cet interlude aquatique me rappelle ma dernière douche qui remonte à plusieurs semaines, ou alors une dizaine de jour je ne sais plus.