Partie 39: Jace

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Une semaine et demi avant

Je suis encore en retard, ce n'est pas possible, je ne suis jamais en retard d'habitude, pour rien. Ça ne me ressemble pas, c'est tout. Je suis même né en avance, d'exactement deux semaines, c'est bien la preuve qu'il n'y a pas plus ponctuel que moi. Et pourtant. Je suis coincé dans ces putains d'embouteillages alors que je devrais déjà être chez eux, elle, eux. Je m'embrouille moi-même. Cette situation c'est le bordel, ça l'est depuis des mois.

– ET PUTAIN DE MERDE JE SUIS EN RETARD, je crie une main sur le volant la tête sortie de mon SUV, à la meuf devant moi qui n'avance pas, le portable à la main, bien sûr.

Celui-là, là-haut, doit vraiment être en train de se foutre de ma gueule, assis sur son trône, à jubiler en me titillent pour que je vrille.

Je suis censé ne pas faire de vague, et j'ai tenu déjà plus de quatre mois, j'ai les poings qui me démange, je sens que je ne vais pas tarder à craquer. Comme une allumette dans les mains d'un pyromane, je serai capable de mettre le feu à sa saloperie de cabriolet de gosse de riche !

– SI ELLE NE DÉCIDE PAS À BOUGER SON CUL, je crie de plus belle en tapant mon volant noir chromé.

– Non, on se calme, ce n'est pas le moment de péter un câble. Focus, focus. Je me répète ça, en expirant calmement puis en inspirant par le nez, tel un mantra indissociable de moi depuis maintenant — je regarde ma montre — cinq mois.

Je ne voulais pas qu'il soit impliqué l'un dedans, mais putain, c'est lui qui est venu me trouver. J'étais censé faire quoi, refilez la patate chaude à un autre ? Hell no ! Certainement pas, c'est mon meilleur ami. 

Quand il m'a tout déballé ce jour-là, c'est comme si une bombe artisanale avait pété à quelques centimètres de nous, emportant tout sur son passage, ma raison, mes convictions... Au fur et à mesure, je n'entendais plus rien, simplement un bourdonnement sourd qui résonnait entre les sillons de mon cerveau anesthésié.

Ce même bruit qu'on entend pendant des heures après la déflagration de l'engin, celui-là devait faire une tonne. D'ailleurs, c'est le poids que je porte sur les épaules depuis qu'il m'a tout raconté. Et cette détonation ne m'a pas quittée depuis. Elle s'est installée, juste là, dans mon lobe frontal, et menace de se répandre un peu plus chaque jour. Bien logé entre mon bon sens et ma conscience, et cette saloperie de bourdonnement n'a jamais été aussi bruyant que ce soir.

Faire ce boulot, ce pour quoi je suis fait, c'est une chose, lui mentir à elle c'en est une autre. Il ne se rend pas compte à quel point on est dans la merde jusqu'au cou, et surtout moi. 

Elle n'aura aucune raison de me pardonner à moi, aucune obligation de le faire, elle pourrait aussi bien rayer mon nom de sa vie aussi facilement qu'on raye le lait sur une liste de course. Rien de plus facile. Je la connais, elle est rancunière, et ce n'est même pas un reproche, parce qu'elle aura totalement raison et je n'aurai aucune excuse. Je la vois d'ici, la confrontation.

C'est ce qu'elle dira, je pourrais presque l'entendre dire que je n'ai pas de raison valable pour avoir monté ce plan de A à Z, même si ce n'est pas moi qui en aie posé les fondements. Mais moi, je sais que je le fais pour la protéger, c'est tout ce qui compte maintenant, je ne peux que me raccrocher à ça. Et la voir ce soir. Je crois que c'est la partie la plus dure, et tordu de ce plan. Devoir me tenir là, pendant qu'elle y croit vraiment, comment pourrait-elle faire autrement ? 

C'est moi qui lui est annoncé sa « mort », même s'il n'y a aucun corps à enterré, elle a confiance en moi, et elle y a cru si facilement. Peut-être parce qu'avec les métiers qu'on fait, c'est une chose à laquelle on s'attend. À chaque garde, ça peut arriver, on en est conscient, chacun des hommes en uniforme, et ça ne lui a clairement pas échappé.

Quand j'arrive enfin il est plus de 0 h passé bordel. Je reste dans l'embrasure de la porte, et j'ai juste eu le temps de voir ma mère, la mine toujours souriante pour contenir les apparences, mais ces yeux rougis en dise long, il est comme un deuxième fils pour elle. Putain, je suis vraiment un connard sans cœur. Elle commence déjà à ranger les assiettes des amis et de la famil.. Enfin non, simplement des amis et des inconnus venus donner leurs respects, Nina n'a officiellement plus de famille.

Je fais partie de ce plan tordu, de ce putain de plan qui m'oblige à la voir effondrée une fois de plus. J'en suis même le co-investigateur bordel ! Je tape un coup sur la chambranle de l'entrée. Hailey s'est arrêtée devant moi en sursaut. Focus focus. Ma soeur est forte, mais je sais qu'au fond elle est triste, pour elle, pour Nina, pour moi, et ce que je peux m'en vouloir de tous leur faire ça. Je l'attrape par la nuque et la serre contre moi rapidement, elle se détache après quelques seconde, sûrement de peur de craquer, puis elle part discuter avec Noah, sans rien ajouter de plus. Elle aussi va m'en vouloir, c'est certain. 

Je claque finalement la porte, un peu trop fort, ce truc de mantra à la con ne marche pas à tous les coups, surtout quand je suis aussi à cran. J'ai besoin d'aller à la salle taper dans quelque chose.

Je remets en place mes cheveux blonds et rentre ma chemise dans mon pantalon. Je sens le métal froid de mon arme dans mon dos, et la réajuste discrètement. Jusqu'à ce que toute cette merde soit terminée, je ne m'en sépare plus. Il reste encore notre petite bande d'amis. Je cherche celle qui va me dégommer la tronche quand elle sera du regard, mais ne la vois nulle part. D'habitude, on entend qu'elle, est là, pas un signe. Je rencontre finalement le regard sombre de Bastien qui se dirige vers moi et me tend un verre d'un liquide transparent.

– Tiens, bois ça, on dirait que tu en as besoin.

J'attrape le verre qu'il me tend, le bois cul sec sans aucune retenue. J'ai la douce impression que la vodka fonctionne mieux que mon mantra.

– On va en avoir plus que besoin, c'est clair, dit-il en fixant un point plus loin.

C'est Mira qu'il regarde en sirotant son verre, lui aussi doit être bouffé par la culpabilité, c'est le seul truc qui m'aide à tenir. Eux. Mes frères, les avoirs dans cette histoire de merde à mes côtés.

– Où est Nina ? Lui demandé-je en regardant mes pieds, soudain peu convaincus de pouvoir l'affronter.

– Je l'ai vu monter à l'étage, elle avait l'air... enfin, je ne pense pas qu'elle redescende de si tôt, finit-il en me regardant brièvement, signe que les remords le rongent tout autant qu'ils,me bouffe. 

Je dessers un peu ma cravate qui m'empêche de respirer convenablement. Merde.

– Je vais me resservir, dis-je en soufflant.

J'ai attendu au cas où elle redescende, qu'elle ait besoin de quelque chose, ou juste de quelqu'un. Il était plus de trois heures passé quand je suis sorti en refermant bien la porte avec la clé que Stephane m'a donnée quand on a établi notre plan.

J'ai trop bu pour rentrer dans mon appartement du centre-ville, et, de toute façon, je n'ai aucune envie de m'éloigner d'elle. Une fois chez mes parents, impossible de fermer l'œil. Je me refais le film dans ma tête encore et encore, ce n'était pas censé aller aussi loin, et maintenant on est grave dans la merde. Tellement que j'ai la sensation qu'aucun de nous n'en ressortira indemne.

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Enjoy <3

StrangerInParadise

Music: Knockin On Heavens Door by Gun's N' Roses

Une fois froissé il ne peut plus être parfaitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant