Chapitre 1 : Boulden, de nos jours. (1/2)

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En larmes, face à la foule, la fillette serrait les bras autour de son torse pour essayer de cacher son corps à demi nu. À côté d'elle, sur l'estrade, le maquignon essayait de voir de combien il allait encore pouvoir faire monter les enchères. Trois cents cels, c'était déjà une belle somme. Mais il espérait pouvoir en tirer cinquante de plus. En plus, elle pleurait, ce qui avait tendance à rendre les acheteurs plus généreux.

Cette scène sordide se déroulait à Boulden, une cité libre de l'Ocarian, au sud du royaume d'Yrian. Elle était coincée entre les montagnes de la Licorne et le fleuve géant Unster qui irriguait les royaumes les plus riches du continent d'Ectrasyc. Mais elle était séparée de ce fleuve par un marais aux eaux empoisonnées, ce qui en faisait un endroit très isolé.

Cet isolement convenait parfaitement aux commerçants de la ville. Les transactions qui s'y déroulaient nécessitaient une certaine discrétion. La principauté était le seul royaume de la vallée de l'Unster où les êtres intelligents pouvaient être achetés ou vendus comme du bétail. Les malchanceux de tout un continent se retrouvaient ici et perdaient, définitivement pour la plupart, leur statut d'individu pour acquérir celui d'objet. Toutes les races avoisinaient sans distinction ; l'homme, l'edorian, le nain ou le bawck se côtoyaient, compagnons d'infortune. Proche de la porte orientale, ce marché auquel Boulden devait sa richesse était noir de monde. Boulden était le grand centre du trafic d'esclaves.

L'un de ces marchands de chair avait dressé son étal au centre de la place du marché. Et si un homme pouvait être l'illustration du bonheur, c'était bien lui. La journée s'était avérée profitable. Bien que la matinée soit à peine avancée, il avait déjà vendu trois esclaves, beaucoup moins que ses confrères seulement les siens coûtaient beaucoup plus cher. Il s'était spécialisé dans le domaine de la perversion, cela s'était révélé des plus lucratifs. Et plus c'était pervers, plus cela rapportait. Le fonds de commerce de Pehla était constitué de jeunes filles à la fleur de l'adolescence. Sa pensionnaire la plus âgée ne devait pas avoir plus de neuf ans. Et ce matin même, il en avait vendu une de six ans à peine. La pauvrette pleurait toutes les larmes de son corps à se voir exposée presque nue, elle ne comprenait pas ce que tous ces gens lui voulaient. Et cela valait mieux pour elle. L'aurait-elle su, elle en aurait été pétrifiée d'horreur.

Un mouvement attira l'attention du marchand. La foule au pied de son estrade était dense, preuve de son succès, bien que certains ne soient pas venus acheter, juste se rincer l'œil. Qu'importe, leurs racontars constitueraient sa meilleure publicité. Au milieu de cette foule, un couple cherchait à atteindre le premier rang, entraînant quelques protestations. Une silhouette menue enveloppée d'une cape qui la couvrait entièrement s'avançait en écartant les gens. Elle était suivie par un jeune homme la dépassant d'une bonne tête, la vingtaine environ, l'air rébarbatif. Plus exactement, il essayait d'avoir l'air menaçant, cependant sa façon de se déplacer dénotait l'individu plus à l'aise avec les livres qu'avec une épée. Il n'avait pas d'arme apparemment, toutefois son expression faisait mourir les remarques acerbes sur les lèvres de ceux qui auraient voulu lui chercher querelle. La façon dont il couvait du regard la forme encapuchonnée qui le précédait, ajoutée à sa stature trop frêle, semblait indiquer que cette dernière était une femme. Certaines rondeurs prometteuses à hauteur de la poitrine et des hanches le confirmaient. Sa taille, très inférieure à la moyenne, indiquait une humaine ou une stoltzin d'Helaria plutôt qu'une edoriane. Et même pour ce pays, elle était toute petite, guère plus grande qu'une enfant. Comme elle était couverte, il était impossible d'estimer son âge ou sa beauté. Qu'importe, sa démarche assurée semblait indiquer une certaine maturité. Elle était certainement trop vieille pour figurer sur ses étals. Il n'était cependant pas exclu qu'elle vienne ici s'approvisionner. Le fait qu'elle se dissimule suggérait une dame noble du palais qui ne voulait pas se faire reconnaître. Sa curiosité éveillée, le marchand de chair la surveilla du regard.

La Paysanne (La malédiction des joyaux - livre 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant