Deirane jeta un coup d'œil autour d'elle. Tous les Helariaseny présents étaient suspendus à ses lèvres. Elle remarqua, assise en face d'elle, une stoltzin qui n'était pas là au début de son récit. Une toute petite femme, menue, très jolie, aux longs cheveux roux et à la silhouette d'une adolescente, dont l'épaule servait de support à un soldat. Elle paraissait être la plus jeune de l'assemblée.
Bien que Deirane ne l'eût jamais vue, elle avait compris qui elle était. Et de toute façon, la bague passée à son doigt aurait donné son rang en Helaria. Il s'agissait de l'une des deux sœurs jumelles qui dirigeaient l'armée. Dans ce cas, loin d'être une adolescente, elle était en réalité leur doyenne à tous.
Deirane se dit que là était la principale différence entre l'Helaria et les autres royaumes. Alors qu'elle avait le même rang que le roi d'Yrian, elle était là, dans une auberge, en terre étrangère, au milieu de soldats qui ne marquaient aucune déférence particulière à son égard, alors que son homologue yriani ne se déplaçait jamais sans sa cour et tout un décorum. Et surtout, il ne serait jamais entré dans un endroit aussi sordide.
Muy, la jolie rousse repoussa le soldat. D'un geste sensuel, elle s'étira et rejeta ses cheveux en arrière. Puis elle braqua son regard sur Deirane. Un regard d'animal, jaune aux pupilles fendues verticalement comme les reptiles. Impossible de deviner les sentiments qui se cachaient derrière. Les Helariaseny avaient tous fini par remarquer qui se tenait au milieu d'eux et s'étaient écartés pour lui laisser de la place, mais juste le minimum pour ne pas l'écraser, rien à voir avec le respect qu'on aurait attendu face à un responsable à la position si éminente, ce dont elle ne semblait pas se formaliser.
— Cette histoire était intéressante, dit-elle enfin, tu racontes bien.
— Merci, répondit Deirane.
— J'avais entendu parler de toi, mais je ne connaissais pas cette partie de ta vie.
— Ce n'est pas une période que j'aime raconter.
— J'imagine. Nous avons tous des moments comme ça dans notre vie, impossible à raconter.
— J'espère bien que non.
Muy prit d'office la chope de son voisin et en but quelques gorgées. Dans beaucoup de contrées, une telle privauté aurait eu une signification précise. De toute évidence, ce n'était pas le cas en Helaria.
— Demain, toutes les deux, soyez présentes au consulat en début d'après-midi. Sans faute.
— J'y serai, répondit Saalyn.
Deirane allait répliquer, elle se souvint à temps que son interlocutrice, malgré son air décontracté et l'absence d'escorte, était un chef d'État. Elle était l'un des cinq pentarques d'Helaria, le chef de tous les soldats helarieal présents dans la salle. Elle ordonnait, ils obéiraient, sans chercher à comprendre.
Devant l'hésitation de la jeune humaine, Muy insista.
— Sans faute !
Ce coup-ci le ton était nettement plus sec. Ce n'était plus une suggestion, mais un ordre. Impossible de s'y tromper.
— Elle y sera, se dépêcha de dire Saalyn.
— Bien.
Muy passa une jambe par-dessus le banc. Avec une grâce féline qui choquait avec sa silhouette d'adolescente, elle se leva et s'éloigna sans jeter un regard. Elle n'alla pas loin. Un individu soit ignorant qui elle était, soit au contraire, la connaissant à la perfection, l'aborda pour lui parler. Il ne fallut pas longtemps pour qu'elle éclate de rire et se laisse entraîner à une table.
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La Paysanne (La malédiction des joyaux - livre 1)
FantastikCela fait quatre-vingts ans que les tyrans ont été vaincus, laissant un monde en ruine aux pluies mortelles. Ces dernières années, la chronique a été défrayée par Deirane, la belle paysanne devenue reine. Mais elle ne fait plus parler d'elle depuis...