Le quartier des gens de passage de Boulden se situait juste au sud de la place du marché aux esclaves. On y trouvait des auberges, des tavernes et toutes sortes de commerces utiles aux voyageurs. Dans l'une de ces auberges, loin d'être luxueuse, mais convenable, Deirane et son fils avaient pris une chambre. Elle y retourna aussitôt après son intervention au marché.
Ils en ressortirent à la nuit tombée. Elle portait toujours sa houppelande, pour la protéger d'un froid que la chaleur qui régnait depuis la fin de la guerre avait presque éradiqué, mais elle avait troqué sa tenue de courtisane contre une chemise légère et ample et un pantalon en cuir retourné. Elle avait aussi ôté son maquillage, camouflé le rubis au sein d'une résille d'argent dont il semblait faire partie. Ses seuls bijoux étaient une paire de chaînettes en bronze poli à chaque poignet et un bracelet constitué de plusieurs rangées de petites perles de forme et de couleur apparemment aléatoire. Son fermoir était une petite plaque gravée d'un motif complexe. Pour les diamants de ses joues, elle n'avait pu rien faire, mais dans la pénombre, on pouvait facilement les confondre avec des tatouages sangärens. Elle avait souvent utilisé cet artifice pour ne pas se faire remarquer. Et ce soir, elle n'avait guère l'intention de s'exposer à la lumière. Sa seule concession à la féminité, sa chevelure laissée libre dans son dos, lui donnait l'air d'une adolescente.
Elle descendit la rue encore bien animée en direction des berges. Son fils marchait à ses côtés, mais il était clair qu'elle décidait de la direction à suivre. Le jeune homme avait l'air d'un érudit, pas d'un homme d'action. Il pouvait faire illusion si nécessaire, mais n'importe quel coupe-jarret les guettant comprendrait tout de suite que ce n'était pas lui qu'il fallait surveiller. La démarche assurée et la décontraction apparente de Deirane constituaient un signal de danger pour tout espion averti. Le couple arriva à une taverne. Feignant la soumission, elle le laissa entrer le premier.
La plupart des conversations cessèrent aussitôt. À l'exception des soldats et des serveuses, il était rare de voir une femme en ce lieu, surtout une humaine. Certains y voyaient une provocation, d'autres une invitation. Dans la plupart des cas, ça finissait mal. Celle-ci étant accompagnée et le jeune homme n'ayant pas l'air commode, ils ne bougèrent pas. Il y avait tant de femmes plus accueillantes qu'il ne servait à rien de prendre un mauvais coup. Tout au plus, ils se contentèrent de la détailler d'un air insolent.
Un seul groupe, rassemblé debout autour d'une table, n'avait pas bronché à leur entrée. Ils assistaient à un match opposant deux des leurs. Il s'agissait d'un groupe de guerriers libres helarieal que les hasards de leur mission avaient réunis en cette ville. Ces individus n'avaient de guerriers que le nom. Ils savaient se battre, mais leur rôle équivalait à celui d'une force de police qui avait mandat pour agir partout dans le monde. Beaucoup de seigneurs les auraient bien expulsés de leur domaine, mais le prince de Boulden n'en avait pas les moyens.
Leur liberté d'action, la présence en leur sein de nombreuses femmes et le symbole de justice qu'ils évoquaient étaient à l'origine de toute une littérature romanesque les mettant en scène. Le héros de ce genre le plus populaire était Gaba, une guerrière brune d'une grande beauté qui parcourait le monde pour en régler les injustices.
Les habitants de l'Helaria professaient une égalité stricte des femmes et des hommes dans la plupart des tâches, dont la guerre. Dans leurs rangs, il y avait presque autant de guerriers de chaque sexe et la présence d'une femme dans une taverne n'était pas pour eux un sujet d'étonnement. Si, quand Deirane était entrée, quelques-uns avaient levé la tête parce qu'elle était belle, ils avaient vite repris leur activité. En l'occurrence, il s'agissait ce soir-là d'une partie d'échecs. Elle opposait un stoltz et un edorian, sous le regard intéressé de leurs compagnons des deux peuples et sexes. Même pour des Helariaseny, ce genre de passe-temps n'était pas fréquent, ce qui rendait ce groupe d'autant plus remarquable.

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La Paysanne (La malédiction des joyaux - livre 1)
FantasyCela fait quatre-vingts ans que les tyrans ont été vaincus, laissant un monde en ruine aux pluies mortelles. Ces dernières années, la chronique a été défrayée par Deirane, la belle paysanne devenue reine. Mais elle ne fait plus parler d'elle depuis...