Deirane se cacha la bouche des deux mains.
— Je ne me doutais pas, dit-elle, je suis désolée.
— Ce n'est rien, mentit Saalyn.
— Comment c'est arrivé ?
— Un commerçant d'Orvbel, Jergo le jeune. C'est le petit fils de Jergo l'ancien. J'ai ruiné sa famille il y a soixante ans. Le descendant est le digne héritier de l'ancêtre. Quand je suis tombée entre ses mains, il l'a vengé. En reproduisant ses actes.
— Tu parlais de Shaab, pas d'Orvbel.
— Quand Shaab m'a capturée, ils m'ont revendue à l'Orvbel.
— Tu as pu t'en sortir, puisque tu es ici.
— Öta m'a sauvée. Il n'a pas fait dans la dentelle. Il a rameuté tous les guerriers qu'il a pu trouver, libre ou pas, et a attaqué le domicile de Jergo. Mais le roi Brun d'Orvbel est toujours vivant lui.
— Et l'Orvbel n'a pas envoyé de protestation officielle.
— Si. Elle est en cours de traitement par les guerriers libres, à Neiso.
Deirane n'était pas une idiote. Elle avait compris. Le roi d'Orvbel n'était pas près de voir sa requête satisfaite, si elle avait bien saisi l'importance de Saalyn aux yeux de la corporation. Sans compter que l'Orvbel vivait du trafic d'esclave. Et les Helariaseny vouaient une haine viscérale aux négriers.
— L'Orvbel est plus près de l'Helaria que d'ici, reprit-elle, pourquoi être venu ici ?
— Parce que si Wotan avait vu dans quel état ils m'ont mis, il aurait rasé l'Orvbel et massacré toute sa population. Son peuple souffre assez comme ça de la folie de ses princes. En plus nous ne pouvons pas nous permettre une telle guerre.
— L'Orvbel n'est pas si puissant.
— Non, sauf que nous sommes peu aimés nous autres stoltzt. Si nous nous lancions dans des conquêtes, même par vengeance, les autres peuples se ligueraient contre nous. Nous ne pourrions pas résister à une coalition de royaumes.
— Tu vas renoncer alors ?
— Non, je vais attendre. Une occasion de me venger du prince se présentera bien un jour. L'Orvbel pourrait nous déclarer la guerre, qui sait ; personne ne pourrait alors nous reprocher de nous défendre.
Elle ramassa sa tunique et la remit. Puis elle revint s'asseoir près de Deirane.
Deirane essaya d'enlacer la guerrière pour la réconforter. Saalyn la repoussa. Deirane comprit alors que la leçon du jour était finie. Elle quitta la pièce pour rejoindre sa chambre. La porte close, Saalyn termina sa bouteille avant de s'effondrer sur son lit.
Deux jours plus tard, en rentrant de son entraînement, Deirane éprouva un choc en croisant un gems qui sortait de la chambre juste à côté de la sienne.
— Mademoiselle Deirane, salua-t-il poliment.
— Nous nous connaissons ? demanda-t-elle.
— Sur la route de Nasïlia, à l'est de Sernos. Vous étiez accompagnée de ce jeune lieutenant.
— C'était vous ?
— Notenor, pour vous servir.
Il s'inclina et lui prit la main sur laquelle il déposa un baiser.
— Je vois que vous avez finalement opté pour la civilisation, la vraie, dit-il en se redressant.
Bizarrement, Deirane se sentit obligée de défendre son pays.

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La Paysanne (La malédiction des joyaux - livre 1)
FantasyCela fait quatre-vingts ans que les tyrans ont été vaincus, laissant un monde en ruine aux pluies mortelles. Ces dernières années, la chronique a été défrayée par Deirane, la belle paysanne devenue reine. Mais elle ne fait plus parler d'elle depuis...