Au bout d'un monsihon de chevauchée, la petite troupe quitta la forêt et entra dans la plaine. Depuis un moment déjà, l'aspect des arbres avait changé. En fait, depuis qu'ils avaient passé les collines qui formaient la limite orientale de l'Yrian, ils avaient un air maladif, le feuillage terne et peu fourni, le tronc torturé. Mais même l'état déplorable de la végétation qu'ils venaient de traverser, pire encore que dans le village natal de Deirane, ne l'avait pas préparée à une telle désolation. La plaine était quasiment déserte, avec çà et là quelques plaques d'herbe éparses d'un vert tirant sur le jaune. Vers le nord et l'ouest, leur origine, on voyait la lisière de la forêt. Devant eux, il n'y avait que la mort. En cet endroit, les pluies de feu étaient abondantes et la terre empoisonnée. Seule la route, régulièrement entretenue, était saine.
Le soleil brillait, il faisait chaud. Festor en profita pour enlever sa tunique et exposa son torse nu aux rayons bienfaisants de Fenkys. Jalia l'imita sans aucune pudeur. Jensen jeta un coup d'œil sur la jeune stoltzin en bougonnant. Quant à Deirane, elle ne put s'empêcher d'éprouver de la jalousie en constatant à quel point elle était belle. Ce n'était pas l'une de ces beautés époustouflantes comme la Pentarchie d'Helaria semblait en produire à la chaîne. Elle ne manquait toutefois pas de grâce dans sa fragilité. Elle avait atteint cette maturité que les stoltzt gardent toute leur vie jusqu'à leurs dernières années avant de vieillir pour de bon. Puis regardant Festor, elle ressentit une bouffée de chaleur qui ne devait rien à la température ambiante. Son torse musclé, sa taille fine, ses membres déliés éveillaient en elle des sensations nouvelles. Jalia était plus gracile que son compagnon, bien que sa silhouette reflétât elle aussi une grande pratique de l'exercice physique. Mince, elle paraissait plus grande qu'elle ne l'était. Sa musculature, bien que moins développée que celle de Festor, se dessinait joliment sous la peau mate. La jeune femme se demanda quel âge elle pouvait bien avoir, se doutant que les vingt-cinq ans apparents étaient certainement sous-évalués. Plus tard, quand elle apprit qu'elle était dans la soixantaine, et que Festor était son aîné du double encore, elle fut à peine surprise.
Festor se retourna pour voir où en était la carriole. Il remarqua le regard désapprobateur du vieux paysan. Il se dirigea vers Jalia et l'incita à se rhabiller. Comme elle protestait, il lui fit la leçon. Elle se réfugia alors dans la bouderie. Festor se laissa rejoindre par les humains pour chevaucher de conserve. Le cheval renâclait de sentir le lézard aussi près de lui.
— C'est une grosse concession que je vous fais là, aux dépens de ma compagne. Et j'attends que vous compensiez. Votre fille partagera sa couche cette nuit pour la réchauffer.
— Pas question, répliqua Jensen.
— Dans ce cas, je serai obligé de consacrer une bonne part de nos réserves pour pallier la chaleur qu'elle n'a pas pu accumuler pendant le jour.
— Je ne demande rien de plus qu'un peu de décence, grommela Jensen.
— Ce mot n'a pas le même sens chez vous et chez nous. Il ne peut pas l'avoir pour deux espèces dont l'une fabrique beaucoup de chaleur interne et l'autre peu. Vous nous appelez reptiles pour nous insulter, mais ce terme est exact. Vous croyez que ça amuse nos femmes de se balader à moitié nues devant des individus incapables de voir un morceau de peau sans avoir la bave à la bouche. C'est vous les humains qui avez un comportement aberrant. Nous ne faisons que suivre les impératifs de notre nature.
— C'est si important ? intervint Deirane.
— Mademoiselle, vous ne savez pas la chance que vous avez d'appartenir à l'espèce humaine. Notre force, notre vivacité et même notre intelligence dépendent de la chaleur de notre corps et nous en produisons bien peu. Vous, vous êtes toujours au maximum de vos possibilités. Pour nous, tout cela varie en fonction de la température extérieure.

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La Paysanne (La malédiction des joyaux - livre 1)
FantasyCela fait quatre-vingts ans que les tyrans ont été vaincus, laissant un monde en ruine aux pluies mortelles. Ces dernières années, la chronique a été défrayée par Deirane, la belle paysanne devenue reine. Mais elle ne fait plus parler d'elle depuis...