Chapitre 4 : Gué d'Alcyan, vingt ans plus tôt. (1/2)

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Le seigneur drow prit la bouteille, caressant ses courbes presque féminines avec sensualité. La levant à hauteur des yeux, il déchiffra les lettres carrées. De l'hydromel gris, un grand cru. L'une des premières cuvées qui avaient suivi la remise en service des vignobles helarieal après la défaite des feythas. Prenant son couteau spécial, il découpa proprement le sceau de cire, nettoya soigneusement toute trace de débris. Puis il la déboucha. Il huma avec délectation le bouquet qui s'en dégageait.

Il en versa un peu dans le verre en cristal posé sur le buffet marqueté devant lui. Il le fit tourner un instant, réchauffant la précieuse boisson dans le creux de la main. Il admira la robe du breuvage, presque transparente avec un léger trouble. Puis il porta à nouveau le verre à son nez. Un sourire éclaira son visage.

Il se dirigea vers son fauteuil préféré au pied duquel se trouvait une table basse sur laquelle il posa le verre. Il jeta un coup d'œil circulaire sur l'endroit qui l'entourait. Un endroit magnifique, des meubles de prix, des tableaux de maîtres, toute une statuaire en or, en marbre ou en bronze. Il était fier de ses œuvres et heureux de ce qu'il était. Le château avait été brûlé pendant la guerre, ses propriétaires légitimes, des stoltzt certainement, avaient disparu. Le gros œuvre en pierre avait survécu quasiment sans dommages. Il avait pris possession des lieux et les avait remis en état. Mais nulle part ailleurs que dans cette pièce il n'avait accompli une telle réussite.

Jetant son dévolu sur un tableau, il tourna le fauteuil face à lui et s'installa. Puis il prit son verre d'hydromel et commença à le siroter. Un délice. Finalement, il ne regrettait pas que la guerre n'ait pas totalement exterminé cette race, rien que pour un tel chef-d'œuvre, ils méritaient d'avoir survécu. Et ils étaient suffisamment loin de ses terres pour qu'il n'ait pas à les supporter avec leur morale ridicule sur le respect de la vie et de la liberté. La seule race libre doit être la sienne, les autres ne sont bonnes qu'à leur servir d'esclave. Un jour sûrement, il achèverait le travail de ses anciens maîtres et il les exterminerait.

À l'étage d'en dessous, un bruit dérangea sa félicité. Il essaya de l'ignorer. Cependant, la conversation le gênait vraiment. Son majordome tentait en vain de repousser un intrus. S'il voulait profiter de sa richesse tranquillement, le drow allait devoir intervenir. Énervé, il reposa son verre et se leva.

Il se dirigea vers la poterne, les manants n'avaient pas droit à l'entrée principale, réservée aux hôtes de marque. Seuls les autres drows étaient assez nobles pour être considérés comme tel et encore, pas tous. À l'exception de la porte qui avait été remplacée pour sa sécurité personnelle, la pièce n'avait pas été rénovée, elle portait encore les traces de l'incendie qui avait ravagé la demeure peu avant qu'il l'investisse, la suie sur les murs, les pierres fendillées, des restes de tentures brûlées et les armures déformées par la chaleur.

Son domestique parlait avec animation avec un fermier, un de ceux qui vivaient à proximité du village situé à deux longes de là.

— Que se passe-t-il ? Quelle est la cause de tout ce dérangement ? demanda-t-il.

— Seigneur, dit Jensen, enfin vous voilà.

Le pauvre hère semblait soulagé de le voir.

— Me voilà en effet. Et bien maintenant, expliquez-vous. Vos cris d'orfraie m'ont dérangé dans mes affaires.

— Mon seigneur, il s'agit de ma fille.

— Quoi ! Votre fille ?

— Elle a été enlevée.

— Enlevée. J'admets que cela est embêtant en effet.

Il regarda le paysan droit dans les yeux.

La Paysanne (La malédiction des joyaux - livre 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant