Le lendemain, Deirane fut conduite devant Muy. Celle-ci semblait avoir retrouvé son énergie. Mais son air n'avait rien d'avenant. D'un mouvement sec, elle lui désigna une chaise, sans esquisser le moindre geste pour faire enlever ses entraves.
— Hier soir, commença-t-elle, Saalyn a été gravement blessée. Elle a failli mourir.
— Je n'y suis pour rien, protesta Deirane.
— En es-tu sûre ?
— Jamais je n'aurais pu lui porter atteinte. C'est mon amie.
— Une amie ! Que tu n'as pas vue, ni même cherchée à contacter depuis vingt ans ! Tu l'as entraînée dans tes petites manigances et voilà le résultat.
— Elle s'est fait beaucoup d'ennemis toutes ces années. L'un d'eux aurait pu être à l'origine de cette embuscade.
— Il y avait deux cibles. Saalyn a pu entendre les propos de ses agresseurs avant de perdre connaissance.
— Elle a repris connaissance ?
— Non, j'ai le pouvoir d'entendre les pensées des gens. Celui que nous avons capturé l'a confirmé. Il a tout avoué. Le commanditaire est un commerçant connu pour servir d'intermédiaire lors de diverses transactions louches. Nous ne savons pas encore qui l'a engagé, ce n'est qu'une question de temps. La seconde cible était toi.
Deirane ne prononça pas un mot, la connivence était claire.
— Tu as pu constater que je n'ai aucun scrupule à tuer, reprit la pentarque. Le choix de mes cibles est simple. Si tu es un allié de l'Helaria, j'épargne ta vie. Dans le cas contraire, si j'estime que tu présente un danger pour les miens, je n'aurai aucune pitié. Tes manigances nous ont porté un grave préjudice, tu es donc considérée comme une ennemie.
— Je n'ai rien fait, j'ai juste cherché à engager des guerriers libres. Je ne pouvais pas prévoir ce que cela entraînerait. Personne ne le pouvait.
Pour toute réponse, la pentarque retourna un sablier.
— Tu as la durée de ce sablier pour me convaincre que tu n'es pas une ennemie. Si tu n'y arrives pas, tu cesseras de vivre à l'instant où le dernier grain tombera. Par respect pour Saalyn, ça sera rapide.
Pour illustrer ses propos, la petite stoltzin posa un poignard sur la table. Il était aussi près d'une femme que de l'autre. Un combattant aguerri aurait pu croire qu'il avait une chance. C'était faux. Personne, même le meilleur guerrier du monde connu n'avait de chance contre Muy. Encore moins une ancienne pensionnaire de harem comme Deirane qui savait juste se défendre. Elle n'essaya même pas de s'emparer de l'arme.
Même si Deirane était choquée par un tel comportement, elle n'était pas vraiment surprise. Elle connaissait la réputation de la petite stoltzin. Sous des dehors avenants et fragiles, c'était une tueuse implacable, capable de prendre une vie entre deux battements de cils. Et en y prenant du plaisir.
Elle savait tout également du lien qui l'unissait à Saalyn. Muy avait gagné tous ses combats dans sa vie. Sauf un. Juste après la guerre, gravement blessée, ayant perdu sa gemme, elle n'avait pas pu se défendre quand des écumeurs de champs de bataille l'avaient trouvée. Ils ne l'avaient pas reconnue, sinon ils l'auraient certainement tuée. Seulement elle était jolie, aussi l'avaient-ils capturée pour l'intégrer à leur cheptel. C'est Saalyn qui l'avait retrouvée, qui avait rassemblé une troupe de guerrier et mené l'assaut qui lui avait rendu la liberté.
La reconnaissance que la pentarque vouait à la guerrière libre, même si elle ne se manifestait pas par des gestes ou des paroles était réelle. Toute personne qui s'en prenait à elle risquait de se retrouver à combattre la petite femme. Et d'y laisser la vie. Un fait que celui qui avait commandité l'attentat avait visiblement ignoré.

VOUS LISEZ
La Paysanne (La malédiction des joyaux - livre 1)
FantasyCela fait quatre-vingts ans que les tyrans ont été vaincus, laissant un monde en ruine aux pluies mortelles. Ces dernières années, la chronique a été défrayée par Deirane, la belle paysanne devenue reine. Mais elle ne fait plus parler d'elle depuis...