Chapitre 3: Keryna.

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En ce petit matin d'été, je me préparais afin d'aller aux champs. Suran n'était toujours pas rentré, et nous devions commencer les récoltes. Bien qu'Yla préférait que j'apprenne mes cours de politique, j'aimais aider ma famille. Mes journées s'organisaient pour la plupart du temps de la même façon. Yla me servait d'enseignante le matin, j'allais aux champs l'après-midi, et Suran s'entraînait au combat avec moi dans la soirée. Pol ne s'occupait plus de cette dernière tâche depuis qu'il souffrait de douleurs au dos.  

Puis alors que je récoltais les fruits du verger, mon frère fit enfin son apparition. Je me précipitai vers lui, heureuse de le voir revenir. Même si je savais qu'il ne risquait rien, je n'aimais pas qu'il aille en ville. 

— Tu en as mis du temps! Qu'est-ce qui t'a retardé?  

— Le dirigeable ne fonctionnait plus, rien de grave, me rassura-t-il avec un sourire, ébouriffant mes cheveux roux.

J'affichai une moue boudeuse, lui montrant que j'étais déçue d'avoir raté ma séance d'entraînement.

— Je sais! Pas la peine de faire cette tête, je n'y suis pour rien. De plus, maman ne verra pas d'inconvénient à ce que je ne travaille pas aujourd'hui, alors on aura deux fois plus de temps pour ça. Et puis de toute façon, tu es la meilleure combattante d'Ivraska, aucune personne n'arrive à ta cheville, ajouta-t-il en me donnant un coup dans l'épaule. 

Je le poussai en rigolant, puis nous prenions le chemin de la chaumière. En arrivant, je vis Pol attablé autour d'un bol de soupe, les yeux cernés. Suran venait de me confier que notre père n'avait pas fermé l'œil de la nuit, étant donné qu'il devait réparer le dirigeable. Je l'embrassai sur la joue, puis il me tendit un long paquet enroulé dans un tissu jauni. Je le déroulai alors, et trouvai en son intérieur une épée d'argent étincelante, dont le manche était serti d'émeraude. 

— Etant donné que tu as massacré la précédente en voulant couper du bois, je me suis dit qu'il t'en faudrait rapidement une nouvelle, bougonna-t-il en repensant à ma dernière bêtise. Celle-ci est de bien meilleure qualité, alors si tu pouvais y faire attention pour une fois. J'espère qu'elle te plaît, je l'ai choisi car les pierres sont de la même couleur que tes yeux. 

— Pol... Elle est magnifique. Je ne sais pas quoi dire, marmonnai-je, émerveillée par ce cadeau si précieux. 

— Et bien, ne dis rien dans ce cas, ça m'fait plaisir.

Je le serrai dans mes bras et il parut surpris, Pol n'était pas vraiment quelqu'un de démonstratif. Pourtant, Suran et moi savions qu'il nous aimait plus que tout au monde.

Nous prenions ensuite notre repas ensemble, puis j'ordonnai à mon frère de venir croiser le fer avec moi. 

— Pas aujourd'hui Keryna, ce n'est pas ce que nous avions prévu. Tu dois t'entraîner au corps à corps, au pire avec ta dague. Si quelqu'un arrive à te désarmer, tu perds tous tes moyens. On doit travailler là dessus, me dit-il d'une voix autoritaire. 

— Suran! Je voudrais essayer ma nouvelle épée, tu ne peux pas me faire ça, tentai-je en papillonnant des cils, ce qui marchait toujours avec lui. 

— C'est non je t'ai dit, écoute-moi pour une fois. Tu veux aller attaquer un château plein de gardes, alors que sans une épée dans la main tu n'es plus rien. Yla a raison, tu n'es pas prête. 

A cette remarque, c'en fut trop pour moi et je préférai monter dans ma chambre en soufflant. Je m'affalai ensuite dans mon lit et fixai des yeux le plafond fissuré, le soleil éblouissant la pièce les faisant ressortir encore plus qu'en temps normal. 

 Je me sentais humiliée et la rage me prenait la gorge. Il était rare que Suran me parle de la sorte et je ne le supportais pas. Je détestais entendre cela, que l'on ne me juge pas prête. Pour moi, je pouvais y aller dès ce soir, mais ce n'était pas l'avis du reste de ma famille. Et en même temps, malgré mon énervement, je les comprenais. Si je venais à mourir avant d'avoir fait couler mon sang sur la roche, jamais plus les Scintillants ne récupèreraient leurs pouvoirs. 

J'étais le dernier espoir, je ne pouvais pas échouer. Bien que les quelques rebelles restants m'aideraient à accéder à la pierre, personne ne pouvait être certain que j'y arriverais. Des gardes demeuraient partout dans le palais donc elle était bien protégée. De plus, ils possédaient des armes bien plus sophistiquées que les nôtres, nous qui nous contentions d'armes blanches. Et puis il fallait que je touche la pierre, ce n'était pas seulement mon sang qui la réanimerait, c'était ma chair, ma personne. Alors bien sûr, pour les Scintillants de l'île, j'étais ce qui représentait tous leurs rêves les plus chers. 

Pourtant, aucun ne connaissait mon identité à part ma famille. Lorsque les insoumis commencèrent à se réunirent sous l'appellation "Les Roses", on annonça l'enfant royal, mais pas son nom. Yla et Pol avaient peur que l'un de nous nous trahisse, et préfère révéler qui j'étais vraiment. Malgré cela, j'étais une figure importante de la résistance. Yla était la chef durant de nombreuses années, et Suran et moi l'avions remplacé lorsqu'elle fut trop fatiguée pour s'occuper de tout. Notre travail consistait surtout à enquêter sur le château et la famille régnant sur l'île depuis le coup d'Etat. Et chaque année, nous organisions une réunion ou nous nous rassemblions tous. 

Lorsque mes parents gouvernaient, sept-cents Scintillants environ vivaient sur l'île, mais nous n'étions plus qu'une petite centaine désormais. Une petite centaine contre presque dix-mille Sans-Pouvoir. Autant vous dire que la tâche qui nous attendait n'était pas la plus facile qui soit, bien au contraire. Surtout que dans ces personnes, il y avait les legios, la brigade spécialisée dans l'élimination des Scintillants. 

Puis alors que je me défoulais dans ma chambre en cognant dans mon oreiller, mon frère frappa à la porte. Je lui autorisai d'entrer malgré tout, et lorsque je vis son visage livide, je me mis à paniquer.

— Deux legios sont en bas, je t'en supplie ne fais d'histoire Keryna, murmura-t-il, les lèvres tremblantes. 

Diadème de cendresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant