Chapitre 57: Keryna.

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Un mal de tête me vrillait le crane et je ne sentais plus mon épaule. C'est alors que j'ouvris les yeux. Ma vision était floue, je me mis à cligner des yeux en grimaçant. Les contours se précisèrent ensuite et je pus apercevoir un lustre doré au dessus de moi. Puis j'entendis une voix. Mon cœur bondit dans ma poitrine et des larmes se coincèrent aux coins de mes yeux. Suran. Il était en vie! Je tournais ma tête vers lui pour observer son visage et il me lança un sourire soulagé et radieux. Quelques égratignures barraient sa peau, mais rien de grave à première vue. Il me prit ensuite la main et la serra.

— Comment tu vas? demandai-je d'une voix faible et rocailleuse.

— Très bien, ne t'inquiète pas pour moi. On est en vie petite sœur! Je suis tellement heureux d'être encore à tes côtés. Tu te sens comment toi?

— Comme tu l'as si bien dit, je suis en vie alors c'est le principale. Par contre je ne sens plus mon épaule.

— C'est normal, me dit-il. Yla t'as fait une injection pour contrer la douleur, sinon tu souffrirais beaucoup trop et il faut que tu récupère vite.

Je me souvenais de la bataille un instant. La jeune fille à terre apparue dans mon esprit, mais je la repoussais en sentant les larmes venir. 

— Je ne me souviens pas de grand chose, qu'est-ce qui s'est passé? Y a-t-il eu beaucoup de morts? De blessés? le questionnai-je en me redressant.

— Après que tu te sois évanouie, nous avons commencé à enfermer les gardes dans les cellules aux sous-sols, comme prévu. Ils n'ont pas posé de problèmes, ils souffraient tellement qu'ils ne pouvaient plus bouger. Je n'ai pas pris de plaisir à voir ça, c'était assez horrible... Et puis j'ai eu tellement peur lorsque je t'ai vu à terre! Je t'ai cru morte, accusa-t-il en croisant les bras, tandis que je souriais à sa moue boudeuse. Et puis, après, nous avons commencé à nous occuper de nos morts.

Il baissa le regard puis se mordit la lèvre, et des larmes perlèrent sur ses joues. Mon cœur se serra d'appréhension. Pas Pol, le suppliai-je du regard.

— Qui? murmurai-je en m'accrochant à sa main.

— Je ne sais pas si Pol va s'en sortir. Et puis *** est décédée, je n'arrive toujours pas à y croire.

J'eus un étourdissement. Je fermais les yeux un instant, sans réaliser ce qu'il venait de me dire. Mon père adoptif était dans un état critique, et celle que j'avais toujours considéré comme ma grande sœur n'était plus de ce monde. *** avait toujours été là pour nous, je me rappelais sans mal de ses années à la maison, ainsi que de ses visites tous les dimanches après midi. 

— Dans quel état est Pol? demandai-je à Suran après avoir déglutit, pour ne pas y penser plus longtemps. Et Hox est-il en vie?

— Pol est inconscient. Il respire mal, son pouls est faible et il a perdu énormément de sang. Sans la magie qui coule désormais dans nos veines, Yla pense qu'il serait déjà mort. Quant à Hox, il s'est pris une balle dans la jambe mais il survivra.

Je soupirais, puis priais de toute mon âme pour que tous nos blessés guérissent. J'avais commencé à pleurer sans m'en rendre compte, je le réalisais lorsque je sentis mes larmes couler sur le drap. J'observais ensuite la pièce ou je me trouvais. Les murs étaient colorés de bleus et des livres en recouvraient une bonne partie.

— Où suis-je?

— Dans la chambre de Jeda, la sœur de Demyan, me répondit-il. 

Je hochais la tête, ignorant mon cœur qui avait bondit à l'entente du nom de Demyan.

— Vous avez des nouvelles de lui?

— Il est avec les legios dehors, certains l'ont vu. Il tente de les calmer mais ça s'agite de plus en plus dehors. La plupart des Sans-Pouvoirs se sont rassemblés devant le dôme.

Je fus soulagée de savoir qu'il allait bien. Il ne risquait pas grand chose, mais je ne pouvais pas m'empêcher de m'inquiéter pour lui. Et puis j'aurais tant voulu le voir. J'aurais aimé qu'il soit avec Suran à mon côté, qu'il me réconforte... Mais je savais que pour l'instant, le mur nous séparait encore. Il faudrait attendre la capitulation du roi. 

— Je peux voir le roi? questionnai-je alors Suran, en pensant que plus vite se serait fait, plus vite Demyan et moi serions réunis.

Il grimaça et secoua la tête.

— Tu es trop faible, je suis sûr que tu tiens à peine de debout. Rien ne presse, tu pourras aller le voir demain, ne t'inquiète pas. 

— Hors de question! m'exclamai-je. Tout presse! On ne peut pas se permettre de retarder ce moment. 

Et sur ce, je me tournais vers le côté puis tentais de me mettre debout. Ce fut un échec cuisant et je dus me rasseoir au bout d'une seconde à peine, prise d'un étourdissement. Suran m'adressa un sourire satisfait. Je décidais de l'ignorer pour réitérer l'expérience. Cette fois-ci, je pris appui au mur et je pus rester plus longtemps. Mais je me sentais si faible. C'est à peine si mes jambes pouvaient porter mon corps. 

Je réalisais ensuite que j'étais en robe de chambre, donc que je ne pouvais pas aller voir le roi vêtue ainsi. Ce n'est pas moi que cela aurait dérangé, mais Yla s'en serait arraché les cheveux. Je partis alors dans la salle de bain d'un pas faible. Suran m'escorta jusque là, puis me laissa m'habiller tranquillement avec des vêtements empruntés à Jeda.

Je pus observer mon reflet dans le miroir. Je faisais peur à voir, finalement c'était peut-être une bonne chose que Demyan ne me voit pas ainsi. Quelqu'un m'avait nettoyé le visage, toutefois mes cheveux restaient eux très sales. De la terre, des brindilles et du sang s'étaient incrustés dedans. Puis je vis mes mains, toute égratignées, et mes ongles encore pleins de sang. 

Je poussais un gémissement avec une moue de dégout. Mon sang mêlé à celui d'une inconnue. Une inconnue que j'avais tué. Assassinée. Je ne pus pas l'ignorer plus longtemps et m'écroulais au sol sous le poids de la culpabilité. Elle avait mon âge, des yeux bleus et des cheveux coupés courts. Je revoyais son visage angélique se déformer sous la balle que j'avais tiré. Sa bouche délicate formant un "o" sous le choc. Son corps s'écrouler tel un pantin désarticulé. Je l'avais tué, j'étais la seule responsable. 

J'entendis alors un coup à la porte.

— Kery, ça va? s'inquiéta Suran.

Ma gorge était nouée par les sanglots, je n'arrivais pas à lui répondre. Puis j'inspirais un grand coup en fermant les yeux, séchait mes larmes, et ouvris la bouche.

— Je vais bien, je suis prête dans cinq minutes. 

Je me relevais donc en tentant de penser à autre chose, puis m'habillais. La tâche n'était pas facile en raison de mon bras paralysé. 

Je sortis cinq minutes plus tard, comme prévu. Suran m'attendait sur mon lit. Il était si inquiet qu'il paraissait avoir pris dix ans en une nuit. Je ne l'avais jamais vu aussi sérieux, lui qui avait toujours le regard si pétillant. Je m'installais sur son lit et l'enlaçais du bras qu'il me restait. Il posa sa tête sur mon épaule, sans un mot, puis me serra à son tour contre lui. 

Nous sommes restés là durant si longtemps que j'en perdis le fil du temps. Puis je repris conscience peu à peu et me rappelais que la journée allait être chargée.

— Il est temps d'aller voir Rioz, murmurai-je en me défaisant de son étreinte. 

Il hocha la tête avec un faible sourire puis se leva. Nous quittions ensuite la pièce, unit comme nous l'avions toujours été.

Diadème de cendresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant