Chapitre 36: Demyan.

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Après une semaine à tenter de voir Keryna, je n'en avais toujours pas trouvé le temps. Ce n'était pas faute de chercher, pourtant j'étais débordé. Surtout que ces derniers jours, Hutys et Tinor séjournaient chez moi. Nouria était demandée sans cesse au palais en raison du bal annuel, qui se tiendrait le lendemain.

En cette chaude matinée, le soleil éclaircissant la pièce, je préparais le petit déjeuner des enfants. Puis c'est alors que pour la première fois, Tinor ouvrit la bouche. Ce n'était qu'un simple merci, à peine audible, mais cela me bouleversa. J'avais l'impression d'assister aux premiers mots d'un nourrisson. Je le pris dans mes bras, le serrant contre moi. Hutys me sauta ensuite dessus et cela suffit à me combler de bonheur. En cet instant, je les considérais comme mes propres fils. Ils étaient devenus en peu de temps des membres à part entière de ma famille.

Étant donné que j'étais en repos et que je voulais absolument voir Keryna, je leur proposais donc que nous allions nous promener dans la campagne. Ils acceptèrent d'un vigoureux hochement de tête. Après les avoir habillés, nous partions donc.

Nous arrivions à la chaumière en début de matinée, pourtant le soleil paraissait à son zénith. Lorsque je frappa à la porte, Keryna m'ouvrit avec un grand sourire. Elle se jeta dans mes bras après un regard à l'intérieur. Je reculais d'un pas sous le choc, tout en rigolant.

— Lâche moi, les petits sont derrière, m'exclamai-je.

— Oh, je les avais pas vu. Bonjour les enfants, les salua-t-elle avec un geste de la main. Allons autre part, je ne voudrais pas qu'Yla me voit avec toi, elle est insupportable ces derniers temps.

Avec un hochement de tête, je prenais donc les mains des enfants puis la suivais. Nous arrivions quelques minutes plus tard dans une clairière inondée de lumière. Je proposais alors aux enfants d'aller y courir, ce que je n'eus pas besoin de répéter deux fois.

— Ce qu'ils sont adorables ! Ils s'ouvrent un peu à toi ? me demanda-t-elle en s'asseyant à mes côtés.

— Un peu. Tinor a ouvert la bouche pour la première fois ce matin. Mais ils sont encore très fermés, et je comprends qu'il leur faut du temps. Ce qu'ils ont vécu est un grand traumatisme. J'avoue ne pas trop savoir comment réagir avec eux. Je pense qu'ils auraient besoin d'en parler mais je ne suis pas le mieux placé pour les écouter.

— Comme tu l'as si bien dit, il faut leur laisser du temps. Ca ira mieux ensuite. Pour l'instant l'exécution de leur père ne doit même pas être réalisable, et le manque de leur mère reste douloureux même si tu t'en occupe merveilleusement bien.

— Tu as raison... Enfin, je suppose que tu as envie de parler d'autre chose.

— Eh bien, je dois te dire que je n'arrive toujours pas à croire que j'ai pu te confier mon secret, m'avoua-t-elle.

Observant l'horizon, je repensais à l'annonce qu'elle m'avait faîte une semaine plus tôt. J'y avais pensé sans cesse, me persuadant que ce n'était qu'une mauvaise blague. Je n'arrivais toujours pas à y croire. Pourtant, au fond de moi, je savais que c'était la vérité. Et ce dont j'étais certain, c'est que jamais je ne pourrais la dénoncer. Elle avait eu raison de me faire confiance, je ne pouvais que l'aider.

— Vous allez vous faire massacrer et je ne peux pas te laisser faire ça. Il faut que tu m'explique vos plans, que je puisse collaborer avec vous.

— Je ne comprends pas pourquoi tu veux faire ça, me dit-elle en haussant un sourcil.

— Mon père est un tyran, un dictateur, et le pire est que le peuple ne s'en aperçoit pas. Ils le voient tous comme le héros qui les a sauvé des Scintillants. Et puis les seuls qui osent se soulever finissent en prison. Combien d'opposants politiques pourrissent dans les caves du palais ? Et combien d'autres également se sont fait exécutés sans que personne ne le sache ? Le monde de mon père est noir et glacial, il n'a pas de cœur et encore moins de pitié pour les Hommes. Alors que toi... Tu m'as l'air tellement dévouée à ton peuple. Tu veux les rendre heureux, leur rendre leurs pouvoirs et leur liberté. Vous avez des idéaux complètement opposés mon père et toi. Même si je ne désire pas prendre la suite du gouvernement, je pense à mon peuple aussi, et je sais que tu saurais les diriger même si tu ne les porte pas dans ton cœur.

— Tu penses vraiment que je serais assez forte pour ça ?

— Tu es la personne idéale. Je suis certain que tu es la seule qui peut réconcilier nos deux peuples. Surtout si on leur montre notre couple, il pourrait servir d'exemple. Montrer qu'à notre époque un Sans-Pouvoir et une Scintillante peuvent s'aimer malgré nos différends.

Elle sourit alors et se pencha vers moi, déposant ses lèvres sur les miennes. Se redressant ensuite, elle passa une main dans ses cheveux.

— J'espère que ce sera suffisant pour calmer les tensions. Dans un premier temps du moins, ajouta-t-elle.

— Les Sans-Pouvoir auront surtout envie de me tuer pour haute trahison, mais on verra ça en tant voulu, m'exclamai-je en rigolant. Comment je peux t'aider du coup ?

— Je ne sais pas vraiment. Nous fournir vos armes serait déjà super.

— Ce sera compliqué. On a une dizaine d'armes chacun, alors lorsqu'il y a un vol on le voit de suite. A moins que j'aille dans la réserve. Mais elle est gardée en permanence, c'est presque impossible. Je vais réfléchir au moyen d'entrer en tout cas. Même si je suis le fils du roi je n'ai pas mes entrées partout. Et pour le jour ou vous attaquerez ? Tu comptes faire quoi au juste ?

— On passera par les tunnels principalement, on espère que l'effet de surprise nous donnera un avantage. Et puis quand j'aurais réparé la pierre, on va créer un dôme de glace pour nous protéger des Sans-Pouvoir et legios extérieurs au palais.

— Non, ça ne suffira pas. Dès qu'il se passe quelque chose là-bas, une alarme sonne chez les legios. Ils seront au château en moins de cinq minutes et ils vont tous vous tuer.

— Comment ? Une alarme ? Comment ça se fait qu'on n'ai jamais rien vu ? Et puis il n'y en a pas normalement sur Ivraska, balbutia Keryna en écarquillant les yeux.

— Personne n'est au courant, c'est bien le but. Mon père l'a fait venir d'Eytidy. Mais je pourrais retenir les legios. Si j'active l'alarme de confinement, toutes les portes se bloquent automatiquement, et il n'y a que moi qui peut les ouvrir de nouveau.

Au sourire que me lança Keryna je me doutais que l'idée lui plaisait. Et à l'instant ou je prononçais ces mots, je me rendis compte que je trahissais mon peuple.

— Tu ne te rends pas compte de ce que tu fais, me dit ensuite Keryna en grimaçant.

— Je t'assure que si. Si tu n'y arrive pas je serais pendu avec vous, mais je me dois d'essayer.


Diadème de cendresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant