Chapitre 22: Demyan.

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Après avoir raccompagné Keryna, je montai de nouveau dans ma chambre surveiller les enfants. Nouria pensait pouvoir les prendre dans trois jours, le temps de préparer leur arrivée comme il se devait. En attendant, elle venait les garder lorsque je travaillais. J'aurais dû être soulagé qu'ils partent bientôt, pourtant cela m'attristait bien plus que ce que j'aurais pu le penser. Même si je savais que les petits seraient très heureux avec Nouria, leur absence laisserait un grand vide derrière eux. Je tentais d'y penser le moins possible. 

Lorsque j'arrivai dans la chambre, Tinor était parti prendre sa douche, et Hutys s'endormait sur le lit en mâchouillant une peluche. Je remis la couverture sur ses épaules puis m'installai à ses côtés. Je repensai alors à Keryna, si différente des premiers jours où nous nous étions vus. Elle souriait sans cesse et les enfants l'attendrissaient. Elle paraissait avoir les mêmes valeurs que moi et cela me rassurait; j'avais l'impression d'être seul contre tous les Sans-Pouvoir en ce moment. 

Alors que je somnolai sur mon lit, on frappa à la porte. Je me levais en râlant et découvris un garde. Je sortis de la chambre, ayant peur qu'il voie Tinor et Hutys. 

— Votre père vous réclame, maintenant, me dit l'homme.

Je levai les yeux au plafond, trouvant que mon père me demandait bien trop souvent ces derniers temps. Etre en sa compagnie ne m'était guère agréable et j'aurais préféré pouvoir éviter cela. Je suivis tout de même le garde, n'ayant pas d'autre choix. Le soleil se couchait et j'espérais être rentré avant que les petits n'aient faim; je n'avais pas eu le temps de les faire manger. 

Une fois dans le bureau de mon père, l'air qu'affichait celui-ci ne me rassura pas. Avachi comme toujours sur son siège, il mordillait ses ongles. 

— Tu fréquentes une jeune femme ces derniers temps? me questionna-t-il. 

Cette question n'en était pas vraiment une et je le savais. S'il me la posait, c'est qu'il connaissait la réponse. 

— Oui, lui dis-je alors. 

— J'ai su cela, en effet. Comme toujours, tu ne fais pas les bons choix et je ne devrais même pas en être étonné. Une campagnarde! N'y avait-il pas d'autre choix? N'y a-t-il pas des femmes sublimes dans l'aristocratie? Regarde Pira par exemple, elle est celle qu'il te faudrait. 

— Je vois que vous vous êtes renseigné, père. Mais je ne compte pas me marier avec cette jeune femme voyez-vous, nous nous contentons de discuter pour l'instant. 

— Mais bien sûr. En tout cas, vous en resterez aux banales discussions, car tu ne la reverras plus. Hors de question que le prince fréquente ce genre de personne, c'est déjà une honte que certain le sache. 

—Vous m'interdisez de la revoir? demandai-je confirmation, choqué qu'il m'ordonne une telle chose. 

— Exactement. Et si j'apprends que tu la revois, c'est elle qui en payera les conséquences. 

— Je vous interdis de lui faire du mal, le menaçai-je, sans pour autant l'impressionner. 

—Contente-toi de faire ce que je te dis et il ne lui arrivera rien. Sa vie est entre tes mains, fiston. 

Bien que je n'en avais aucune envie, j'acceptai d'un geste nerveux de la tête. Toutefois, ce n'était qu'une parole en l'air, je ne m'empêcherais pas de voir Keryna pour faire plaisir à mon père. Même si je ne la connaissais pas encore vraiment, elle comptait pour moi. Je quittai alors le bureau puis partis récupérer quelques affaires dans ma chambre. 

Tinor et Hutys n'avaient presque aucun vêtement, donc je pris ceux que je possédais lorsque j'étais enfant. Une fois cela fait je voulus repartir, mais croisais ma sœur. Nous ne nous étions pas reparlé depuis que j'étais allé sur Tawy et je ne pouvais pas nier qu'elle me manquait. Elle entra dans ma chambre et s'installa sur mon lit. 

— Il parait que tu as une petite amie? me dit-elle avec son habituel ton las.

— Ce n'est pas ma petite amie, non. C'est quelqu'un que j'apprécie beaucoup, c'est tout. 

— Parle-moi d'elle. Di- moi, elle est belle? 

— Très, affirmai-je en souriant. Ses cheveux sont magnifiques, roux et ondulés jusqu'aux épaules. Et tu adorerais ses yeux émeraude. Mais c'est surtout sa personnalité qui m'a marqué. Elle est tellement spontanée! Je me sens bien avec elle, c'est la seule personne qui me fait cet effet en ce moment. Quand je parle avec elle, j'ai juste envie que notre discussion dure toujours. 

— Et tu oses dire que ce n'est pas ta petite amie? Vu comment tu parles d'elle, tu es amoureux Demyan. 

— Pas du tout Jeda. Et puis tu ne sais même pas ce que c'est l'amour, alors ne dis pas n'importe quoi, répliquai-je en levant les yeux. De plus, je la vois depuis même pas trois semaines, je ne la connais pas encore assez. 

— J'ai quatorze ans, ne me prends pas pour un bébé. Et trois semaines, c'est assez, tu as peut-être eu un coup de foudre!

— Tais-toi! Les coups de foudre n'existent pas. 

Cinq minutes avec elle avaient suffi à ce qu'elle m'énerve, comme toujours. Je lui dis donc au revoir malgré ses protestations puis repartis à la caserne. 

Pourtant, le soir-là, notre conversation m'empêcha de m'endormir. Il était vrai que je n'avais pas l'habitude de parler de quelqu'un de la sorte. J'éprouvais des choses pour Keryna. Et ces choses, je n'arrivais pas à leur donner un nom. Ce n'était pas de l'amour, il était encore trop tôt pour cela, mais c'était peut-être l'esquisse de sentiments. Elle était si différente des filles que je fréquentais en temps normal. Ses yeux exprimaient un je ne sais quoi que je ne pouvais pas définir. Une étincelle mystérieuse, une sorte de souffrance enfouie que je voulais découvrir. 


Diadème de cendresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant