Le lendemain, à l'aube, j'étais réveillé par les enfants. Ils venaient de monter sur mon lit sans un mot. Je souriais alors, voyant qu'ils montraient pour la première fois leur attention à mon égard. Après leur avoir servi un petit déjeuner royal, Nouria arriva et je partis travailler. J'étais comme la plupart du temps avec Pira et celle-ci paraissait de bien mauvaise humeur.
— Nous allons vérifier une fois de plus les papiers d'identité de la famille Tohar, celle dont fait partie ta copine, me dit-elle.
— Quoi? C'est une blague?
— Non. Le legio avec qui tu étais lors de la visite m'a parlé de ses craintes, et il est de notre devoir de faire quelque chose. Je connais ton faible pour les jolies filles, mais ce n'est pas parce qu'elle est belle que tu dois la gracier.
— Qu'est-ce que tu racontes encore? Ca n'a rien à voir! Je t'interdis de leur faire subir une deuxième fois cette humiliation. Tout est en règle chez eux. C'est quoi, de la jalousie? Parce que je passe plus de temps avec elle qu'avec toi?
— Demyan, sois sérieux un peu. Tu crois vraiment que je pourrais être jalouse d'une petite campagnarde? Je n'ai rien à lui envier vois-tu, absolument rien. Alors on y va, c'est comme ça.
— Dès demain, tu ne seras plus ma Seconde. Je n'en peux plus que tu me donnes des ordres. Dois-je te rappeler qui est le chef des legios? On doit travailler ensemble, tu ne dois pas être contre moi. Et si nous ne sommes pas d'accord sur quelque chose, c'est moi qui l'emporte, lui rappelai-je en serrant les poings.
Elle me regarda avec les yeux grands ouverts, n'arrivant pas à croire que j'avais pu lui dire une chose pareille. Je savais à quel point son rôle lui tenait à cœur, je venais donc de toucher une corde sensible.
— Tu ne peux pas me faire ça, tu sais que ce métier c'est tout pour moi. Qu'est-ce que je vais dire à mes parents? Je te promets que je ferais tout ce que me dis, mais je t'en supplie ne me destitue pas, me demanda-t-elle la voix tremblante.
— Je sais pas, je vais réfléchir. Mais fais des efforts Pira, avant d'être ton ami je suis le fils du roi, tu me dois le respect et non l'inverse.
Elle hocha la tête en se mordant la lèvre, l'air dépité. Je détestais me servir de mon statut afin de justifier quoi que ce soit, pourtant je préférais me rabaisser à cela plutôt que de faire un contrôle chez Keryna.
Le midi, pendant ma pause, je décidais alors d'aller la voir; lui ayant promis cela la veille. Je préparais un pique-nique et partais directement après. Lorsqu'elle me vit, elle écarquilla les yeux.
— Demyan! Mais pourquoi as-tu amené tu ça? C'est bien trop.
— Je me disais que ce serait sympa de manger au bord du lac. Je sais que je ne t'ai pas prévenue, alors j'espère que tu n'as pas déjà mangé?
— Non, c'est bon, me dit-elle avec un sourire.
Elle referma la porte derrière elle et nous nous dirigions vers le lac. La journée était chaude et ensoleillée, un temps parfait pour un repas en plein air. Une fois arrivés, je prenais un instant afin de contempler le paysage. L'herbe douce ondulait sous une légère brise et l'eau scintillait de mille feux. J'installais une nappe puis plaçais les différents mets sous le regard ébahi de Keryna.
— C'est la première fois que je partage un repas avec quelqu'un de mon âge, m'avoua-t-elle en s'asseyant.
— Il faut une première à tout! En tout cas, je suis heureux d'être avec toi.
— Et moi donc! Merci beaucoup.
— Ce n'est rien enfin, ça me fait plaisir.
Et je voyais alors qu'elle pensait vraiment ce qu'elle disait. Contrairement aux premières fois où nous nous étions vus, elle ne se forçait ni à parler ni à sourire. Elle était naturelle. Nous apprenions à nous connaître, je lui parlais de moi et elle me parlait d'elle. Nous étions si différents l'un de l'autre. Nos rangs sociaux étaient à l'opposé et nous n'avions pas du tout eu la même vie.
Bien qu'elle ait toujours vécu dans la pauvreté, elle avait été entourée par l'amour que lui portait sa famille. Et pour moi, c'était cela la plus grande richesse. Moi qui avais vécu sans parents présents, je pouvais à peine mettre des mots l'amour familial. Et Keryna, lorsqu'elle en parlait, me faisait presque découvrir cela. Ses parents avaient l'air d'être formidables, et sans son frère elle n'était plus rien. La puissance des liens qui les unissaient ne pouvait pas être comprise par la plupart des Sans-Pouvoir. La seule personne de ma famille avec qui je pouvais parler sans trop de mal était ma sœur, et pourtant nos rapports étaient loin d'être idylliques. Nous nous disputions sans cesse.
— Alors, ça fait quoi d'être le fils du roi? me demanda-t-elle en fourrant une tarte aux framboises dans sa bouche.
— J'ai pas mal de privilèges, bien sûr, mais j'aurais préféré être quelqu'un d'autre. Je n'aime pas la popularité, et être le chef des legios ne me plait pas plus que cela. La plupart des Sans-Pouvoir m'envient, pourtant j'échangerais volontiers ma place contre la leur.
— Vraiment? C'est vrai que quand on pense à toi, on imagine plus une vie de rêve.
— Je sais. Mais n'importe qui vivant dans ma famille plus d'un jour ne souhaiterait qu'une chose: repartir. Même si c'est pour retrouver la pauvreté, ce serait toujours mieux que de devoir fréquenter mon père.
— Je n'aurais jamais imaginé ça. Tout le monde sait que Rioz est cruel, mais je ne pensais pas qu'il l'était aussi avec son propre fils.
— Et pourtant... murmurai-je en fixant l'immense étendue d'eau.
Je vis un éclat de tristesse dans ses yeux en me retournant vers elle. Je changeais alors de sujet. Nous discutions encore un peu, puis je la raccompagnais chez elle lorsque nous eûmes terminé de manger.
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Diadème de cendres
Fantasy« Qu'auriez-vous fait à ma place? Continuer de fermer les yeux sur le malheur de votre peuple? Ou bien essayer de vous battre pour avoir une vie plus sereine? Personnellement, j'ai choisi la seconde option, pour le meilleur ou pour le pire. » Keryna...