A mon réveil ce jour-là, je sus qu'il fallait que je revoie Demyan. Bien que ce legio ne m'inspirait que du dégout, il pouvait être d'une grande utilité. Cette rencontre pourrait être à notre intérêt. Des personnes auraient pu trouver ma décision immorale, mais à part des Scintillants, personne ne pouvait comprendre mes choix. Si cela pouvait aider à ne pas nous faire massacrer, alors j'étais prête à le faire. Je partis donc dans la chambre de mon frère, afin de lui demander de m'emmener à leur caserne.
— C'est non, me fit-il après que je l'eus questionné à ce sujet. Attends quelques jours au moins, tu sais bien que tu as tendance à t'embarquer sans réfléchir.
— Quel dommage, je vais être obligée d'y aller toute seule. J'espère que tu ne retrouveras pas mon cadavre sur le bord de la route!
Il souffla, exaspéré par mon comportement.
— Tu es insupportable Keryna, vraiment. C'est bon, on ira ce midi. Et ne fais pas de gaffe s'il te plaît, je ne tiens pas à me faire tuer par Yla.
Comme toujours, il avait fini par céder; ma force de persuasion sur lui était inimaginable. Je me préparai alors puis embarquai à bord du vieux dirigeable que nous possédions. Une quinzaine de minutes plus tard, nous arrivions en ville. Suran se gara sur la place prévue à cet effet. Prenant ma dague à la volée, je le laissai seul en affirmant que je serais de retour avant dix-neuf heures. Je sanglai ensuite mon arme dans mon dos afin qu'elle ne soit pas visible; c'était la loi sur Ivraska.
Voilà bien longtemps que je n'étais pas venu en ville, des semaines, voire des mois. Le fait de revoir toutes ces maisons ocre me fit un bien fou. Avant d'aller à la caserne, je partis alors sur le marché permanent. On y trouvait là-bas bien des choses, de simples étalages d'épices, jusqu'aux bijoux qui valaient le prix de notre chaumière. Les tentes de toutes les couleurs me faisaient penser à une couverture immense, crée à partir de milliers de bouts de tissu.
Puis alors que je me promenais dans cette douce euphorie, j'entendis mon nom parmi les discussions bruyantes qui donnaient vie au marché. Je me retournai en levant la tête. J'aperçus une femme d'une quarantaine d'années, dont le visage me disait vaguement quelqu'un chose. Toutefois, je ne pouvais pas dire avec affirmation qu'elle était une Scintillante. Je me dirigeai vers elle sans aucune assurance, je me méfiais sans cesse de tout le monde. Son sourire bienveillant en aurait amadoué plus d'un, mais j'avais été élevé dans la crainte de toute personne inconnue. Elle tenait un stand de bijoux fantaisistes que la royauté ne devait pas accepter; les Sans-Pouvoirs avaient un code très strict sur cela.
— Venez, il faut que je vous parle, me dit-elle en se retournant, certaine que je la suivrais.
Et effectivement, c'est ce que je fis. J'étais de nature curieuse et j'avais besoin de connaître la raison pour laquelle elle m'avait appelée. Nous passions alors derrière le rideau vert d'eau, puis je me retrouvai de l'autre côté de l'étalage, dans une profonde pénombre. Seule une lampe bleutée illuminait la pièce. Je me sentais bien trop à l'étroit et eu l'envie soudaine de rebrousser chemin.
— Je suis une Scintillante, murmura-t-elle, jetant de brefs coups d'œil aux rideaux. Je voulais vous informer que les legios patrouillent beaucoup en ce moment. Je ne sais pas si cela veut dire quelque chose, mais ils sont plus actifs que d'habitude. Ils ont fouillé chez moi il y a quelques jours, retournant toute ma maison. Ils vont bien finir par trouver l'un des nôtres un jour.
— Ils sont venus chez nous aussi, mais je ne pense pas qu'il y ait une raison. Ce n'est pas la peine de vous inquiéter, la plupart d'entre nous avons des faux-papiers, tentai-je de l'apaiser.
J'étais rassurée que ce ne soit que cela. Les legios ne m'inquiétaient pas, ou du moins pas pour l'instant. Cela faisait des années qu'ils n'avaient pas trouvé l'un d'entre nous. Ce n'était pas rare qu'il y ait des périodes ou ils étaient plus insistants, cependant cela ne signifiait rien.
— La plupart, mademoiselle Tohar, pas tous, finit-elle par me dire d'une voix sèche. Vous êtes à la tête des Roses, vous vous devez de nous protéger.
— Je sais, mais voyez-vous, je ne peux pas faire grand-chose contre les legios. Maintenant, si vous n'y voyez pas d'inconvénient, je me permet de vous quitter.
Je repartis alors sans un regard derrière moi. Je comprenais les craintes de cette femme, il était parfaitement normal d'en avoir, mais je ne supportais plus toute cette pression que les Scintillants m'imposaient. Ils exigeaient toujours trop de moi, ne comprenant pas que je ne pouvais pas gérer tous leurs problèmes.
Nous avions un fond d'aide afin de pouvoir payer les faux-papiers aux Scintillants, mais nous nous étions fait avoir et nous en payions encore le prix. La personne qui nous faisait cela était un Sans-Pouvoir, Vyhk, un haut responsable dans le gouvernement de Rioz. Il était le seul à accéder aux papiers d'identité: un papier rare, transparent, que l'on ne pouvait acheter nulle part. Alors nous n'avons pas eu le choix. Nous lui avons promis de l'argent en échange et il avait accepté. Mais depuis ce jour, il réclamait chaque mois un peu plus pour qu'il garantisse de garder le silence. Autant vous dire que nous ne pouvions pas vraiment nous le permettre. Alors ce n'était plus possible pour nous de fournir des papiers à tous.
Je ne pouvais pas faire des miracles, protéger tous les Scintillants était impossible. Ils nous considéraient, moi et Suran, comme l'autorité. Et cela impliquait beaucoup trop de choses pour deux êtres normalement constitués. Si j'avais été reine, la tâche aurait été bien plus simple.
Une fois que j'eus terminé de faire le tour du marché, je me dirigeai ensuite vers l'imposant bâtiment qu'était la caserne des legios. Puis arrivée devant la porte massive, je me demandai comment j'allais pouvoir demander Demyan. J'attendis donc dans l'espoir qu'un des leurs rentre de patrouille; étonnement, aucun garde n'était présent. Par chance, deux d'entre eux arrivèrent quelques minutes plus tard.
— Est-ce que vous pouvez prévenir Demyan Vosris que je suis ici, leur demandai-je lorsqu'ils arrivèrent à ma hauteur.
— Vous êtes qui?
— Keryna Tohar.
L'homme hocha la tête puis s'engouffra dans la caserne, me laissant seule.
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Diadème de cendres
Fantasía« Qu'auriez-vous fait à ma place? Continuer de fermer les yeux sur le malheur de votre peuple? Ou bien essayer de vous battre pour avoir une vie plus sereine? Personnellement, j'ai choisi la seconde option, pour le meilleur ou pour le pire. » Keryna...