Chapitre 30: Keryna.

19 4 8
                                    

Après une nuit fort mouvementée, j'avais raccompagné Egna chez elle. J'attendais désormais Suran dans la cuisine afin d'aller au marché, accompagnée d'un thé chaud. J'avais une folle envie de revoir Demyan, et même si je tentais de me raisonner, rien n'y faisait. Je souriais sans raison depuis ce matin.

Une fois que Suran fut près, nous partions. Durant le trajet, je le convaincu non sans difficulté de me laisser aller voir Demyan. Je partis donc vers la caserne lorsque nous arrivâmes dans le centre-ville d'Ivraska. Après avoir annoncé mon arrivée à un garde, celui que j'attendais tant arriva. Il paraissait aussi heureux qu'angoissé, ce que je ne comprenais pas. Sans même m'adresser la parole, il me prit par le bras et m'emmena vers une petite ruelle. 

— Mais qu'est ce que tu fais?! demandai-je en me dégageant. 

— Tu n'aurais pas dû venir. Mon père ne veut plus que je te voie, tu es en danger quand tu viens ici. Maintenant, c'est moi qui viendrai. Ou l'on se donnera rendez-vous ailleurs si tu veux.

— Pourquoi n'aurais-tu plus le droit de me voir? 

— C'est une longue histoire, allons dans les Terres Florales.

J'acceptai d'un hochement de tête puis je me mis à marcher derrière lui. Une fois devant les Terres Florales, j'oubliais presque ce pour quoi j'étais venue. Je m'asseyai à côté de Demyan, admirant la vue. C'était probablement l'endroit le plus magique d'Ivraska. Des fleurs luminescentes qui dégageaient une puissante énergie s'étalaient sur des plaines de plusieurs hectares. Elles étaient utilisées jadis par les Scintillants comme remède contre certains maux. Les Sans-Pouvoir avaient voulu les détruire après le coup d'état, mais la beauté de ce paysage les en avait finalement dissuadés. 

— Mon père compte te tuer si je te vois encore, donc mieux vaut être discret. Il ne veut pas que je fréquente des Sans-Pouvoir qui ne font pas partie de la cour. 

— Ton père est un fou, murmurai-je en secouant la tête.

— Ce n'est pas faux. Il a voulu me marier avec ma Seconde, j'ai refusé. 

— Vraiment? Pourquoi? Il me semble que c'est une très belle femme.

Alors que je prononçai ces mots, j'étais pourtant soulagée. Je ne savais pas quelle aurait été ma réaction s'il m'avait annoncé ses fiançailles.

— Ce n'est pas la seule sur Ivraska, et puis je ne pouvais pas, c'est tout, finit-il par me dire en détournant la tête. 

C'est alors que je vis le long de son cou une récente ecchymose. Au fond de moi, je me doutai quelle était la personne qui lui avait infligé cela. Je lui demandai tout de même confirmation d'une voix peu assurée. 

— Mon père, souffla-t-il en regardant droit devant lui. 

Je me crispai en un instant, me mordant la lèvre. Comment pouvait-il bien faire cela à son propre fils? Je ne comprenais pas. Ma haine contre le roi grandissait alors encore à un point que je n'aurais jamais cru cela possible. Cet homme n'avait donc aucun cœur.

— Mais je n'ai pas envie de discuter de lui, parle moi plutôt de toi. Qu'est-ce que tu as fait durant ces derniers jours?

Face à cette question, je ne sus pas vraiment quoi répondre. Je n'étais pas censée être allée chez les elfes, et encore moins avoir organisé une réunion avec des Scintillants résistants. 

— Rien de spécial, j'ai aidé mes parents aux champs, mentis-je alors. Et toi?

— J'ai été pas mal occupé avec le boulot et les enfants Scintillants, c'est pour ça que je ne suis pas venu te voir. Je suis désolé, surtout que ça t'a fait venir jusqu'à moi et que ce n'est pas le moment. 

— Arrête de t'inquiéter pour moi, personne ne me fera de mal, je t'assure.

Il haussa les épaules, un air anxieux plaqué sur le visage. J'avais l'impression qu'il souhaitait me dire quelque chose, sans pour autant oser le faire. Puis après une profonde inspiration, il se lança.

— Keryna, il faut que je t'avoue quelque chose. Je sais que c'est ridicule, mais j'ai besoin de te le dire. Tu es la première fille qui a provoqué quelque chose chez moi. J'ai beau te connaître depuis peu, tu as pris une place immense dans ma vie. J'ai des sentiments pour toi et c'est bien la première fois que ça arrive.

Alors qu'il m'annonçait cela en me fixant dans les yeux, je ne respirais presque plus. Je sentis mon cœur battre frénétiquement dans ma poitrine, m'empêchant presque de l'écouter. Ses paroles venaient jusqu'à moi de loin, comme étouffées. Puis alors que je souriais bêtement, il se pencha vers moi afin de m'embrasser. Lorsque ses lèvres entrèrent en contact avec les miennes je crus succomber de bonheur. C'était comme si mon sang retrouvait sa magie d'antan, faisant vibrer mon corps entier. Puis je me rappelai qui j'étais.

Je le repoussai alors et m'éloignai de lui. Je repris mon souffle avec difficulté, fixant un point devant moi. Je ne pouvais pas faire cela. Je ne pouvais pas embrasser le fils du roi des Sans-Pouvoir. Moi, Keryna d'Ivraska, ne pouvais pas aimer qui elle voulait. J'osai ensuite relever la tête et découvrais Demyan encore plus mal que moi.

— Je suis désolé, soufflai-je en retenant mes larmes. 

— C'est moi qui devrais m'excuser, tu n'as rien fait de mal. 

Devant son air blessé, je m'en voulus encore plus. J'avais tellement envie de sentir son corps contre le mien. Il fallait que je lui dise. Mais non. Non, je ne pouvais pas le faire, je ne pouvais pas prendre le risque de mener mon peuple à sa perte pour un homme. Pourtant ces paroles traversèrent la barrière de mes lèvres sans même que je m'en rende compte. 

— Je suis une Scintillante, Demyan. Une sorcière. Une des personnes que ton peuple traque depuis tant d'années déjà.

Et alors que le ciel lui tombait sur la tête, je le vis sortir son arme.

Diadème de cendresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant