Chapitre 47: Demyan.

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Cette journée avait été épuisante, j'avais l'impression de ne pas avoir pu dormir depuis des jours. Une fois dans le dirigeable, j'étais mitigé entre l'envie de rentrer chez moi et rester sur Eytidy. Je n'avais pas oublié une seule seconde les paroles de mon père à l'allée. Sur le trajet, je ne pus m'empêcher de lui jeter des coups d'œil craintifs, telle une proie guettant son chasseur. Et puis, même s'il n'avait pas voulu vérifier ce que j'avais dans mon sac, la peur qu'il me le demande me statufiai déjà.

Lorsque nous arrivions enfin sur Ivraska, alors que le soleil était déjà couché depuis plusieurs heures, je tentais de me diriger vers la caserne sans un mot. Mais à peine j'eus fait un pas que mon père siffla mon prénom. 

— Aurais-tu oublié que j'ai besoin d'informations? me demanda-t-il d'une voix polie. 

Je déglutis avec difficulté. Je le suivis ensuite, bien conscient que je n'avais pas d'autre choix. Une fois dans le vaste hall aux murs de marbre et d'or, je jetais mon sac sans grande discrétion sur le côté. Mon père ne parut pas le remarquer. 

Il m'entraîna dans son bureau, comme toujours, puis ferma ensuite la porte à clé. Je restais quant à moi près du mur, le corps tendu mais la tête haute.

— Bien, dit-il. Mon très cher fils, tu sais comme ta mère m'est importante, et il faut que je la retrouve. C'est une femme bien fragile qui ne survivra pas longtemps aux tourments de la nature. J'ai beau avoir envoyé tous mes hommes pour la retrouver, il n'y a pas une seule trace d'elle par ici. Alors dis moi où elle est, je sais qu'elle te l'a dit. Un des soldats qui la surveillait l'a vu venir dans ta chambre. Malheureusement, elle s'était déjà enfuie lorsque celui-ci m'a trouvé.

Le dégout que je ressentais pour mon père ne faisait qu'accroitre ces derniers temps. La façon dont il parlait de ma mère me fit grimacer. Il m'observait de son regard dur et je vis ses traits se crisper davantage lorsqu'il vit que ma réponse ne venait pas. Il s'approcha alors, d'une démarche lente mais qui me terrifiait. Arrivé à quelques centimètres de moi, il plaqua sa main contre le mur et approcha encore plus son visage du mien. 

— Où est cette garce? murmura-t-il.

Mon souffle commençait à être saccadé. C'est alors que le premier coup fut envoyé. Son poing atterrit sur ma côté avec violence et je ne pus m'empêcher de pousser un gémissement tout en me baissant. Je me relevais après une seconde, le regard plus fier que jamais.

— Je ne sais pas, elle ne m'a pas dit, affirmai-je, ce qui était bien la vérité.

Il eu un ricanement mauvais qui me fit avoir des sueurs froides. Je vis ensuite sa main se crisper, alors je préparais ma défense. Mais le coup partit sans que je m'y attende. Son poing sur ma tempe gauche me vrilla le crâne et ma vue se troubla durant quelques instants. Je n'avais jamais ressenti autant de haine pour celui qui se prenait pour mon père. Celui qui n'était que mon géniteur et qui ne pourrait jamais prétendre au rang de père. Celui qui m'avait toujours battu, nié, considéré comme un moins que rien. Je désirais en cet instant, pour la première fois de ma vie, me défendre. Jamais je n'avais osé faire quelque chose contre lui auparavant, mais il fallait que cela change. 

Mais pas ce jour là. Je devais me contenir pour qu'il n'ai pas de soupçon à mon égard. Pour mon peuple. Pour Keryna. Je me laisserai faire une dernière fois, puis je me vengerais de lui à travers les Scintillants. 

Alors les coups plurent sur mon corps, sans relâche, comme tant de fois auparavant. Je gémissais, serrais les dents pour ne pas pleurer et hurler de douleur, mais je tins bon. Jamais je ne m'étais senti aussi faible. Mon père avait toujours exercé une pression palpable et j'avais rarement pu faire mes propres choix. Mais il était temps que cela change, et c'est à cela que je pensais tandis que mon géniteur me passait à tabac. Mon choix était d'aider les Scintillant à accéder au pouvoir, et c'est à cet instant que je compris que je le voulais vraiment. Ce n'était pas seulement pour Keryna, ni seulement pour mon peuple, qui subissait la cruauté de cet homme depuis tant d'années déjà, mais aussi pour moi. Pour que je puisse enfin vivre librement.

Lorsque mon père se releva, jurant encore contre moi et ma pauvre mère, je me surpris à prier pour que se soit bien la fin du calvaire. Le corps meurtrit, je n'osais plus esquisser un geste. J'étais à terre, les genoux et le front contre le sol, les yeux fermés pour me concentrer sur autre chose que sur la douleur. 

— Je te préviens, Demyan, t'as intérêt à cracher le morceau. Sinon la prochaine fois c'est la petite campagnarde qui sera victime de mes coups. 

Je relevais la tête d'un geste vif, le visage plus révolté que jamais. Il ne pouvait pas s'en prendre à Keryna. 

— Je vais retrouver mère, je vous le promet, laissez-moi une semaine, le suppliai-je. 

Il m'observa en haussant un sourcil. Ce n'était surement pas mes yeux humides qui le firent changer d'avis, mais il accepta tout de même, et c'était bien cela le principal. Keryna voulait attaquer le château dans moins d'une semaine, alors cela nous laisserait assez de temps. 

— Tu peux partir, me dit-il ensuite, partant d'un pas lasse vers son bureau.

Je me relevais alors en m'aidant de mes mains, le visage déformé par des grimaces de douleur. Ma tête tourna un instant. Je continuais néanmoins, afin de ne pas donner à mon père une chance de plus pour se moquer de ma faiblesse. Mais une fois la porte du bureau passée, je m'écroulais à terre, le dos contre le mur. Je devais prendre sur moi pour ne pas gémir. Je n'aurais pas su dire combien  de temps j'étais resté là, accroupi comme un vulnérable chien battu. Ce fut une servante qui me sortit de ma transe, me demandant ce qui n'allais pas. Après l'avoir rassuré de brèves paroles, je trouvais donc la force de me lever, puis rejoignais d'une démarche vacillante le hall.

Une fois là-bas, je récupérais mon sac et me dirigeais vers la caserne. Un sourire apparu sur mes lèvres. Au moins, j'avais les armes. 

Diadème de cendresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant