Chapitre 35: Keryna.

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Lorsque je vis cet homme, je n'eus aucune pitié. La seconde d'après je voulais déjà repartir. C'était un legio, un ennemi donc. Je m'approchais finalement de lui et prenais son pouls. Il était faible mais il vivait. Sa peau blanche lui donnait un air fantomatique et des profondes coupures s'étalaient sur son torse. Il paraissait avoir été agressé par une bête sauvage. Puis après que je l'eut examiné, je reprenais ma route en le laissant seul.

Mais quelques minutes plus tard, je doutais de ma décision. Cet homme allait mourir par ma faute. Peut être avait-il des enfants ou bien une femme ? Qu'est-ce que j'aurais fait si c'était Demyan qui avait été à sa place ? Je l'aurais sauvé, bien évidemment. C'est alors que je rebroussais chemin en pestant contre moi même. Je n'arrivais pas à croire que j'allais faire une chose pareille. Je comptais sauver un Sans-Pouvoir, un legio qui plus est !

Lorsque j'arrivais, il était encore en vie. Je me demandais alors comment est-ce que j'allais bien pouvoir le ramener. L'homme devait faire au moins ma taille, voir plus, et sa stature carrée m'informait qu'il devait peser son poids. Je prenais donc la décision de tenter de le soigner sur place, dans un premier temps. Ma boîte de secours toujours dans mon sac, je la sortis. Je fouillais ensuite dedans à la recherche de désinfectant et de bandages. Après avoir essuyé le sang dégoulinant sur son torse, je pris la bouteille d'alcool et en versais son contenu. Il se réveilla alors en poussant un long gémissement.

— Qu'est-ce que vous me faîte ?me demanda-t-il en se tordant de douleur.

— J'essaie de vous soigner voyez vous, alors parlez moi mieux que ça.

Il me regarda de travers puis se laissa faire. Il s'adossa donc de nouveau au tronc d'arbre avec une grimace. Je pris ensuite les bandages et les collait contre sa peau. Il se crispa en grognant, s'accrochant à l'herbe pour soulager sa douleur.

— Voilà, c'est déjà mieux, constatai-je. Qu'est-ce qui vous a fait ça?

— Un stadäi qui m'est tombé dessus.

Je ne pus m'empêcher de me crisper. Ces animaux, sorte de grand renard ailés, étaient tout simplement adorable à qui savait les comprendre. Ils s'attaquaient juste à ceux qui avaient déjà tué. Je regrettais d'avoir aidé cet homme. Si un stadäi l'avait agressé, il le méritait. Mais je ne pouvais plus désormais l'abandonner ici, il fallait bien que je l'emmène quelque part.

— Vous pouvez vous lever ? lui demandai-je.

Il acquiesça, se leva, puis s'accrocha à moi en vacillant. J'avançais donc avec lui en croulant sous son poids. Le trajet me parut durer une éternité. Lorsque j'arrivais enfin à la chaumière, je le laissa tomber d'épuisement. Yla sortit alors en trombe, me regardant comme si j'étais un fantôme.

— Il s'est fait agressé par un stadäi, il faut le ramener chez les legios, lui dis-je.

Elle partit alors sans un mot prévenir mon frère. Quelques minutes plus tard, ce dernier arriva. Après m'avoir salué, il hissa le legio dans le dirigeable et s'envola. La tête encore ailleurs, je le regardais s'éloigner. Je rentrais ensuite sous le regard lourd de reproches d'Yla. M'asseyant sur une des chaises de la cuisine, elle se mit en face de moi.

— Il va falloir qu'on parle toutes les deux, tu fais n'importe quoi Keryna. En ce moment tu n'es plus la même.

— Me voir heureuse te dégoûte à ce point ? rétorquai-je en croisant les bras.

— Oh arrête ! Ces derniers temps tu es ailleurs, on ne peux même plus te parler sans que tu te braques. Et voilà qu'après avoir passé du temps avec le prince, tu sauves un legio !

— Je n'ai pas envie d'en parler, je n'ai pas réfléchis c'est tout. Maintenant si tu veux bien je vais me reposer.

Alors que je me levais et partais dans ma chambre, elle m'interpella lorsque je montais les escaliers.

— Tu as trouvé ton Oiseau au moins ? me demanda-t-elle.

— Oui, Egna s'occupe de lui.

Sans plus en discuter, je continuais d'avancer. Une fois allongée sur mon lit je fus prise de nausées. Je me rendais compte à présent que je n'étais pas celle que je croyais être. J'étais persuadée d'être plus courageuse que n'importe quel Ivraskien, que rien ne m'empêcherait d'atteindre mon but. Et pourtant je venais de sauver un Sans-Pouvoir. Qu'en serait-il alors lorsque je devrais tuer ? Réparer la pierre incluait d'exterminer les gardes, je l'avais toujours su, néanmoins je ne me rendais pas compte de ce que ce geste signifiait. Enlever la vie à un Homme. Un homme ou une femme, qui avait des enfants qui l'attendaient le soir. Il ne fallait pas que je pense à tout cela, c'était inutile. Mon choix était fait depuis bien longtemps et mon peuple passait avant les Sans-Pouvoir. Quelle faiblesse d'esprit d'y avoir pensé ! Il fallait que je me concentre sur mon objectif et non sur la manière de l'atteindre.


Diadème de cendresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant