Chapitre 1 : Andrea

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Mardi 6 juillet 2010

9h45

Aujourd'hui, ce sont les résultats du bac. J'ai rendez-vous avec mes copains de classe devant le lycée Voltaire, dans le 11ième arrondissement de Paris. Je suis en retard, je récupère mon perfecto balancé sur le bureau de ma chambre la veille et l'enfile nonchalamment, avant de me pencher sur la photo de ma mère partie trop tôt, posée sur ma table de chevet.

Je m'assois sur mon lit, en versant une larme. Elle était très jolie, ma mère. La plus gentille des mamans. Mon père s'est encore plus énervé, et elle ne s'est plus jamais relevée, un soir de mai 2004. Je ne sais pas comment, mais il a évité la prison. Et il n'a pas perdu notre garde, ce qui n'est pas plus mal. Même s'il ne mérite pas sa liberté, je ne suis pas sûre qu'on aurait pu rester ensemble en foyer d'accueil avec ma petite sœur Thaïs. Et il n'a jamais levé la main sur l'une de nous deux. Il ne s'est d'ailleurs jamais vraiment occupé de ses filles, quand j'y pense. La situation aurait pu être tellement pire...

Thaïs : Qu'est-ce que tu fais encore là ? Tu devais pas rejoindre tes potes au lycée ?

Moi : Si, j'y vais.

Je pose le cadre photo délicatement sur mon lit.

Thaïs : Elle me manque à moi aussi.

Moi : Je sais. J'aurais aimé qu'elle soit là, c'est encore plus difficile les jours comme aujourd'hui.

Thaïs : Elle serait fière de toi. Encore plus si tu as le bac. Alors va vite voir ! Et appelle-moi pour me dire quand tu sais.

Moi : Ok. J'y vais. Et toi, ne reste pas trop tard chez Magalie. Sois à la maison à 19h.

Thaïs : Oui, t'inquiète. J'ai pas encore envie d'entendre papa crier.

Je la regarde et lui souris. Je l'aime vraiment trop. Je n'en serais probablement pas là si je n'avais pas eu à m'occuper d'elle ces 6 dernières années.

J'attrape mon sac, avant de jeter un dernier sourire à Thaïs et de quitter ma chambre. Je traverse le couloir aux bruits des grincements de mes pas. Arrivée au salon, mon père est allongé sur le canapé, le regard dans le vide.

Eric : Tu vas où, encore ?

Moi : Je rejoins Julie et les autres pour qu'on regarde ensemble les résultats du bac.

Eric : J'espère que tu l'as. Tu sais que c'est ça qui va faire démarrer ta carrière.

Moi : Toutes mes demandes d'entrée en fac ont été acceptées. Tu te rappelles ? J'aimerais aller dans l'une d'elles si j'ai mon bac.

Eric : Même pas en rêve. Si tu as ton bac, c'est pas pour aller perdre ton temps à poser ton cul pour assister à des cours qui servent à rien. Le bac en poche, tu commences les défilés et les shootings avec Elite.

Moi : Je pourrais peut-être leur demander d'aménager mes horaires, et la fac aussi, c'est assez libre. Je suis sûre que je pourrais faire les deux !

Eric : Andrea, fous-moi la paix avec ta fac. Tu n'iras pas, un point c'est tout. Ce qui va rapporter, c'est ton contrat chez Elite. Y'a pas à chercher plus loin.

Moi : Ça va rapporter sur le court terme. A 30 ans, je serais obligée de me reconvertir, paye ton avenir. Et ça sera trop tard pour faire carrière en psychiatrie.

Eric : Tu m'emmerdes avec ta carrière chez les fous.

Il me jette un regard froid qui me glace le sang. Je tourne les talons et m'approche de la porte pour quitter cet appartement qui m'oppresse en marmonnant.

Moi : Maman m'aurait encouragé à aller à la fac, elle.

Eric : Il est temps que tu grandisses. Ta mère est morte, Andrea.

Moi : Et à qui la faute ?

Je claque la porte. Je hais cet homme.

10h20

Arrivée devant la grande porte en bois bleu de mon lycée, mes amis sont là. On ne s'est pas revus depuis la dernière épreuve de maths, il y a 15 jours. Je les prends tous un par un dans mes bras en sachant pertinemment que c'est la dernière fois que je vois au moins la moitié d'entre eux.

Et puis on se dirige vers le hall, où sont affichés les résultats. Il y a du monde, et pleins de parents. J'aurais aimé que les miens soient là. Mais mon père s'en fiche et ma mère n'est plus de ce monde.

Je m'approche lentement du tableau, essayant de trouver mon nom, au milieu de la petite foule devant. Mais je suis alpaguée par ma meilleure amie.

Julie : Félicitations ma chérie ! Mention très bien !

Elle me prend dans ses bras.

Moi : Sérieux ?

Julie : Fais pas comme si tu t'y attendais pas ! C'était tellement évident !

Moi : Et toi ?

Julie : Je l'ai, sans mention, mais au moins, je suis pas à la repêche !

Je la prends dans mes bras à mon tour.

Moi : C'est trop bien ! Je suis tellement contente pour toi !

Julie : Pour nous tu veux dire !

Je ne sais pas si je suis vraiment contente pour moi-même. Mon avenir me parait bien sombre. Mais ce n'est pas le moment d'y penser. Je profite des mes amis une dernière fois, on va boire un verre tous ensemble.

19h00

Quand j'arrive chez moi, mon père est toujours sur le canapé, en peignoir marron foncé miteux. Il dort et ronfle. Moi, je grimace. Je m'approche et ramasse les deux cadavres de bouteilles sur le parquet froid, avant de descendre les jeter dans le local poubelle de l'immeuble. Quand je remonte, je croise Thaïs dans l'escalier.

Moi : Tu as 10 minutes de retard.

Thaïs : Et toi ? Tu as ton bac ?

Je lui lance un regard rempli de fierté.

Moi : J'ai même la mention très bien !

Thaïs : Ah ! J'en étais sûre ! Il faut qu'on aille fêter ça !

Moi : Ok. Allons se manger un bon cheeseburger. Papa dort sur le canapé. Je monte chercher mon sac, et on file !

J'adore par-dessus tout m'occuper de Thaïs. On s'entend bien, et on partage tout, nos joies comme nos peines. Elle me comprend mieux que personne. Je viens d'avoir 18 ans, et mon bac. Je pourrais quitter cet appartement, et cet homme qui se trouve être mon père, me trouver un petit boulot et aller à la fac, sans jamais plus le revoir. Mais j'aurais trop l'impression d'abandonner ma petite sœur. Je vais devoir laisser tomber mon rêve de venir en aide à des personnes malade dans leur tête, comme mon géniteur. Je ne peux pas laisser Thaïs seule avec cet homme.

30 Seconds To LoveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant