Chapitre XIII

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Il y avait plusieurs personnes que Pia ne s'attendait pas à voir à Massoa. Francis tout d'abord, qui était autour de son épouse, la suivant du regard hagard, et Alice Nikonov qui se présentait à son impératrice avec hâte et peu de manière. Elle était essoufflée, mal coiffée, voire pas coiffée, et des chaussures sales. Elles étaient dans un des salons d'apparat de l'hôtel de ville. Alice avait trouvé un agent des FPI qui la connaissait de vue. Étrangement Alexane ne pensait être aussi heureuse de voir la jeune espionne :

-Madame Nikonov quel plaisir de vous revoir saine et sauve! S'exclama Alexane en ouvrant ses bras pour y accueillir Alice. 

-Merci votre Altesse. Dit cette dernière en acceptant l'accolade. Mais je suis venue pour l'Hospodar.

Pia était présente, et demanda d'un ton solennel ce que lui voulait Alice:

-Aysha a confié une mission à son demi-frère Rafael Favreau. 

-Laquelle?

-Celle de mettre à l'abri ses quatre enfants. 

-Où sont-ils? S'empressa Pia. 

-Ici.

Alice pointa du doigt l'entrée de l'hôtel de ville. Et brusquement Samira se précipita vers Ida en criant de joie:

-Tata Ida!!!

Ida se baissa et prit la petite dans ses bras, le serrant si fort qu'elle aurait pu l'étouffer. Rafael portait Anwar dans ses bras, et Sofiane alla saluer sa grand-mère. Lina eut envie de pleurer en retrouvant des membres de sa famille. L'émotion était papable. Personne ne savait quoi dire, quoi faire alors Rafael s'approcha de Pia et lui remit délicatement Anwar dans les bras. Pia regarda avec tendresse le visage du dernier-né de son fils et quand il ouvrit enfin ses yeux, elle pleura. Personne ne l'avait jamais vu pleurer, personne. Rafael recula, se plaçant près d'Alice, il lui prit la main machinalement, il avait besoin de ce contact, il avait besoin d'elle. La scène qui se dressait devant eux était dramatique. Ida tenant la petite Lina qui pleurait, Sofiane entourant d'un bas protecteur sa soeur Samira, Francis surplombant Alexane de sa carrure, tel un halo, et Pia berçant un enfant, nouveau-né, qui lui rappelait le sien, déjà mort. Oui, un drame se jouait dans le hall de cet hôtel de ville. Alors Rafael avait besoin d'Alice.

Alexane mit à disposition d'Alice et Rafael une chambre et une salle d'eau, ils avaient besoin de repos, d'un repas, et d'un bain. Rafael ôta ses bottes, avec lenteur, comme-s'il y éprouvait du plaisir, et enfin il se glissa dans la baignoire remplie d'eau chaude. Il reste un instant dans l'eau, mouillant ses cheveux noirs, et touchant sa barbe de plusieurs jours. Et enfin quelques larmes se mêlèrent à l'eau douce. Il pensa à ses parents, Talia et Sébastien, puis à Saphira et Salim, puis à Aysha et Jacob, à Soline, et enfin à...:

-Tu prends ton temps dis donc. 

-Alice! Sursauta-t-il en mettant, par réflexe, les mains sur son entre-jambes. 

-Oh! Fais pas l'innocent. J'ai vu pire.

Elle avait aussi pris un bain, ses cheveux étaient détachés et mouillés. Elle s'asseyait au bord de la baignoire:

-Je voulais te remercier Rafael. 

-Pour? Avoir été d'un grand soutien durant notre « voyage ». Merci. 

-Merci à toi...Mais tu pourrais sortir.

Elle ria avant de disparaitre par la porte. Rafael eut lui aussi envie de rire. Il se sécha et sorti, une serviette autour de la taille. Alice allumait un feu dans l'important cheminée de la chambre. Même s'ils avaient chacun la sienne, Rafael était content de sa présence. Un repas trônait sur une petite table: beaucoup de fruits, de biscuits, de la viande déjà froide. Alice s'aida du feu pour sécher plus rapidement la longue chevelure blonde. Assis sur une chaise, Rafael la regarda, et c'était comme-si le temps ralentissait autour de lui. Il ne pensait plus à rien, il fixait, regardait, observait Alice bouger. Il se souvenait brusquement de ce qu'il avait pensé d'elle en la rencontrent: prétentieuse, sans-gêne, et à présent c'était pour lui des défauts qu'il adorait. Il en venait même à haïr ses qualités. Elle se tourna vers lui, se redressant, s'éloignant du feu. Et pour la première fois, elle le voyait comme elle aurait pu le voir il y a huit ans. Elle lui tendit la main, il la saisit sans réfléchir. Elle embrassa les lèvres fraiches du jeune homme, espérant les réchauffer, elle qui venait du feu, lui de l'eau. Il avait la peau froide, elle avait la peau brûlante. Ils s'embrassèrent encore, comme la dernière fois au Targon, mais avec plus de passion, d'envie. Puis il dit:

-Alice, je...

-Rafael arrête de réfléchir s'il te plaît, juste cette fois, laisse-toi aller. 

-D'accord mais je voulais que tu saches que je...

-Je sais. Je sais.

Elle lui prit le cou. La serviette tomba, mais il n'était plus gêné. Et bientôt, ils furent nus tous les deux, s'approchant du lit. Malgré toutes ces années à attendre, Rafael n'aurait pu espérait de meilleur moment, endroit, personne pour, enfin, faire l'amour.

Le train siffla en gare. Pia baissa un à un les joues de ses quatre petits-enfants qui étaient prêts à quitter Massoa. Ida tenait Anwar dans ses bras. Elle se découvrait un instant maternel assez perturbant. Pia avait pris une décision, rapide, comme elle en avait l'habitude: sa fille et ses petits-enfants partaient pour les îles, Harald prendrait soin d'eux. Ida n'avait pas protesté, elle allait pouvoir regarder Anders travailler dans le jardin du palais. Sur le quai se trouvait Alice et Rafael, après avoir passé la nuit ensemble, la jeune femme était retournée dans sa chambre, sans un mot. Ils ne se parlaient plus, pas. Rafael ne savait que lui dire, et Alice ne savait ce qu'il voulait entendre. Mais elle avait alerté l'Impératrice Alexane sur son désir de rentrer chez elle. Rafael avait eu écho de cette décision et s'était donc retrouvé à la gare, près du train qui montait vers le nord. Brusquement Alice lui fit face:

-Je pense qu'il est temps de nous dire au revoir Rafael. 

-Si tu le dis. 

-Il le faut. J'ai beaucoup de paperasse à remplir au siège de la SEA. Puis je dois reprendre la traque de Daniel Moscov. 

-Tu ne l'attraperas jamais Alice, fit-il un brun méchant, il est loin à présent. Laisse l'Hospodar et l'Impératrice s'en charger. 

-Rafael...Dit-elle désolée. J'aime mon travail, tu comprends, j'aime mon pays, et rien ne pourrait me faire changer d'avis. Ma destinée est liée à celle de l'Allénie, ma vie est liée à celle de ses dirigeants. 

-Ainsi nous arrivons au moment où tu as pris ta décision et où je dois prendre la mienne: te suivre ou te quitter, me plier à ton exigence de vie, ou renoncer à vivre avec toi. 

-Oui. Conclut Alice.

Rafael ne savait pas s'il allait regretter de se sacrifier ainsi pour suivre la femme qu'il aimait. Il avait regretter de ne l'avoir pas fait il y a huit ans, mais à présent...Il secoua sa tête pour ranger ses idées:

-Je vais aller au Nouveau-Duché, là est ma place. Annonça-t-il simplement en fixant ses yeux clairs. Là a toujours été ma place. Et Aysha a besoin de moi, quand elle sera enfin libre, elle aura besoin de moi. 

-Oui. C'est très louable de ta part.

Le contrôleur siffla trois fois, signe du départ imminent. Alice posa une main sur la joue lisse de Rafael. Il venait de se raser. Puis elle baisa délicatement l'autre joue. Il ferma les yeux, se focalisant sur ce contact si savoureux. Tous ses poils se dressèrent un par un, tous sans exception. Elle recula et disparu après avoir montrer les marches qui la séparaient de la première classe. Pia embrassa sa fille en lui faisant promettre de prendre soin des quatre enfants de son frère et de remettre une lettre à son père. Ida jura sur l'honneur de ne pas défaillir et grimpa dans le train. De la fumée sortit de la grande cheminée et les roues s'ébranlèrent peu à peu. Pia s'approcha de Rafael. Il en avait toujours eu peur, ou plutôt elle l'intimidait tellement que la peur et l'angoisse l'envahissaient. De sa voix ferme et impérieuse, elle demanda au jeune homme:

-Ainsi, vous voici seul Monsieur Favreau?

-Vous aussi votre Altesse.

Pia sourit sans ouvrir sa bouche:

-Je ne suis jamais seule Monsieur Favreau. J'ai un mari, une fille, une famille et vous qu'avez-vous?

Rafael ne sut que répondre. Il eut une envie subite de courir après le train, et pourtant ses pieds restèrent figés sur le sol de la gare. 

Les Seigneurs de Fallaris Tome 3: GarmanieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant