Chapitre XV

25 3 0
                                    



La main ferme de Francis servit un verre de vin à Rafael. Ils mangeaient ensemble à l'hôtel de ville de Massoa, attendant sagement le retour de Pia et Alexane qui étaient en plein conseil militaire à l'étage au dessus. Francis dégusta une cuisse de canard avec une certaine envie. Rafael n'avait pas faim. Plus personne n'avait de nouvelle de Balsam, d'Aysha, des troupes de Daniel et d'Énis...Que se passait-il ? Le soleil éclairait la pièce et c'était comme-si la guerre n'existait pas, que la mort n'existait pas, que les horreurs du monde ne pouvaientt jamais les atteindre. Francis se resservi, justifiant sa faim en expliquant qu'il avait couru pendant deux heures ce matin. Il y avait un magnifique parc non loin de l'hôtel de ville qui offrait une vue magnifique sur la plage en contre-bas. Rafael posa son verre d'un coup sec. Francis sursauta:

-Que vous arrive-t-il Monsieur Favreau?

-Vous y arriver si bien, comment faites-vous?

Francis haussa un sourcil d'étonnement avant de comprendre. Il s'essuya la bouche avec une serviette en tissu:

-C'est difficile mais c'est ainsi. 

-Ainsi? S'énerva Rafael. Ainsi! 

-Oui, continua Francis calmement, évidemment qu'il y a des malheurs profonds dans le monde, des guerres sanglantes, des dirigeants despotiques et sans âmes qui négligent l'humanité, mais la vie continue. Nous devons continuer, et essayer de passer à autre chose. Ne jamais oublier mais continuer à profiter de ce que l'on a. 

-Avec toutes les guerres que vous avez vécu, vu, comment passer à autre chose?

Francis haussa les épaules:

-J'essaye de me convaincre que les sacrifies de certains servent à la vie d'autres. 

-Jacob est mort pour nous, c'est ce que vous essayez de me dire. 

-En d'autres mots oui. Nous ne devez pas sombrer alors qu'il aimerait que vous continuez à vivre. Une vie disparait ce n'est pas pour que la vôtre soit souffrance.

Francis prit un morceau de canard, plantant froidement sa fourchette:

-Vous allez retourner au Nouveau-Duché? J'ai entendu dire que c'était un bon pays. Vous vous plaisez là-bas? 

-Oui. Répondit Rafael prudemment. 

-Alors raccrochez-vous à cela. Votre poste est important: gouverneur. Vous pouvez aider des gens, faire le bien autour de vous, profitez de la vie que vous avez.

- Oui. Mais à quoi sert le pouvoir quand on est seul? Je n'ai personne. J'ignore comment va ma demi-soeur, mon demi-frère est un monstre, mes parents sont loins, les seules femmes que j'ai aimé sont parties...Le pouvoir ne sert à rien si on n'a personne pour nous soutenir, nous aider, partager ces moments...

Rafael prit une gorgée de vin. Francis le considéra un instant, repensant aux paroles que venaient de prononcer son compagnon de déjeuner. Tania...Elle allait devenir Impératrice dans peu de temps, mais surtout Maman et elle était seule, désespérément seule. Personne ne devait rester seul. Finissant son repas, Francis se promis d'oeuvrer corps et âme pour le bonheur des femmes de sa vie. Il fallait qu'il retrouver Tobias Ronor. Il le fallait. La grande porte s'ouvrit en deux, comme deux battants. Alexane et Pia apparurent en pleine conversation. Les mots Daniel, bataille, guerre, Jacob, Aysha ressortaient toutes les deux phrases. Elles s'assirent près des deux jeunes hommes et un domestique leur servit du vin. Alexane l'arrêta d'un geste de la main:

-Je ne bois pas aujourd'hui. Je veux avoir mes pleines capacités. 

-Un verre ne tue personne. Plaida en souriant son époux. 

-Mais un verre ne sert à rien non plus.

Ils achevèrent le déjeuner en orientant la conversation vers les prochaines festivités du carnaval de Taurin. Un événement qui scelle la fin de l'automne et le début de l'hiver.

La nuit tombait sur Massoa et l'autre moitié de la flotte se préparait à partir. Les nouvelles de Balsam étaient très mauvaises. Les rumeurs courraient. Daniel serait bloqué dans le palais, incapable de sortir, de prendre une décision, incapable de régler la situation dans laquelle il s'était mise. Alexane disait à Francis d'un ton convaincu et convaincant qu'il ne restait qu'une chose à faire:

-L'attraper, et le juger! Nous sommes à ça de l'avoir!

Elle montra un petit écart entre deux doigts. Francis acquiesça d'un signe de tête, la suivant du regard depuis le sofa de leur chambre:

-Daniel doit avoir un procès équitable et juste. 

-Dans quel pays? Demanda Francis.

-Comment? Il est Allénien donc en Allénie. 

-Tu penses que cela est juste? Je veux dire, il a bouleverse la stabilité du Monterre, dont il a assassiné les présidents, il a mis à feu et à sang une bonne partie de l'Allénie, fait la guerre contre les Îles, dont il a pris le fils adoré, il a emprisonné la Tariqua d'Auguste...Tous ces pays ont toutes les raisons de le vouloir dans leurs geôles, en quoi l'Allénie a t-elle plus de légitimité? 

-Aucune idée. Soupira Alexane. Tu veux que je le livre en pâture aux autres? C'est mon cousin tout de même. 

-Il a assassiné ton autre cousin, tenté de nuire à ton demi-frère qu'il a jeté en prison, tout le monde connait vos histoires de famille, et surtout il a tué Léon Aizon.

Alexane écarquilla les yeux. Oui, Daniel était cruel, mais se l'avouer était la pire des cruauté pour son esprit. Elle se laissa tombée sur le canapé près de lui, et expira avec difficulté. Francis commença à lui caresser les cheveux avec délicatesse:

-On devrait retourner à Rebourg, l'Hospodar gère très bien la situation. Lança-t-il. 

-Je sais que tu aimes vivre dans un cocon sans problème mais c'est impossible Francis actuellement. Je dirige des forces armées conséquentes. 

-J'en ai conscience. Ne pense pas que je ne comprends pas. J'aimerais juste que tout cela finisse le plus vite possible pour pourvoir enfin profiter de toi.

Elle se redressa, fit la moue et prenant la main de Francis dit:

-Je dois te dire quelque chose. 

-Quoi dont? Ne me dis pas que tu pars pour Balsam, c'est la jungle là-bas, personne ne sait qui est vivant, qui est mort...

-Non, non. J'irai mais quand tout sera sous contrôle. Non...Je...Je suis enceinte. 

-Quoi! Quelle merveilleuse nouvelle! 

-Je n'en suis pas encore sûre, mais j'ai du retard donc...Je ne vois que cela comme réponse à ce dérèglement. 

-En effet! S'écria Francis heureux.

Il prit son épouse dans ses bras, et lui souffla à l'oreille à quel point il l'aimait. Il continua sur un discours qui se voulait prévoyant:

-Tu ne peux pas aller sur le front à présent, ta présence sur un des ses bateaux serait mettre en jeu deux vies! 

-Hors de question que tu prennes des décisions pour moi sous prétexte que je suis enceinte! 

-C'est notre enfant. 

-C'est mon corps! Fin de la discussion! C'est peut-être injuste pour toi mais la nature est ainsi faite et je reste un être à part entière qui prend ses propres décisions! Donc tant que l'enfant est en moi, il ne dépend que de mes décisions c'est claire?

Francis marmonna dans sa barbe en s'énervant. Mais que pouvait-il faire? En signe de protestation, il se coucha sans un mot. Alexane fit de même. Il repensa à sa soeur, seule, enceinte elle-aussi, alors il se tourna vers Alexane qui était dos à lui, la tête sur l'oreiller. Il la prit dans ses bras et murmura que quoi qu'il arrive, quoi qu'elle décide, il l'aiderait, car c'était tout ce qu'il pouvait faire, et tout ce qu'il devait faire. Elle l'embrassa en rajoutant:

-Merci d'être là, et au moins tu comprends vite.

Ils rirent avant de s'endormir, main dans la main. 

Les Seigneurs de Fallaris Tome 3: GarmanieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant