Il n'était jamais parti en voyage seul, ou sans destination exacte. Il ne savait pas que mettre dans son sac, ni quoi prendre exactement comme arme, ou autre. Il prit un bain, maudissant ses cicatrices, et remit vite son maillot. Il se rasa, et enfin décida de prendre les grandes bottes noires dans lesquelles il enfonça son pantalon bleu marine. Il soupirait à chaque mouvement. Il aurait une petite escorte, trois hommes pas plus, histoire de ne pas attirer les regards:-Tu soupires beaucoup.
Il leva les yeux vers Aysha. Ce regard qu'elle posa sur lui voulait tout dire. La colère, le désespoir, l'amour. Tout. Jacob connaissait ce regard. Elle allait lui dire ce qu'il devait faire s'il partait, et après lui ordonner de rester, et quand elle aurait vu que rien ne lui ferait changer d'avis, elle lui donnerait de multiples conseils sur comment rester en vie. Alors il lui lança un regard qui signifiait « je sais ce que tu vas me dire ». Alors ils se turent tous deux. Elle jeta un oeil à ses affaires:
-Tu as pris peu de change.
-Je ne pense pas trouver d'endroit où laver mon linge de toute façon.
-Possible. Ton escorte a suffisamment de nourriture pour un temps. Tu vas commencé par où?
-Je vais vers le Targon, il aurait été vu à la frontière. Affirma Jacob.
-Le Targon n'est pas notre allié. Énis nous haït.
-Je sais. Je ferai attention. Même si ma mère m'a toujours dit que j'étais le roi des incidents diplomatiques.
-Me voilà rassurée. Sourit faussement Aysha.
Ils se regardèrent dans les yeux:
-Tu es sûr que tu ne veux pas voir les enfants? S'enquit Aysha.
-Oui.
Jacob savait que s'il les voyait il ne pourrait partir:
-Déjà que te voir mets en doute ma faculté de partir.
Il se pencha vers elle et l'embrassa délicatement. Puis il murmura:
-Je dois récupérer mon petit frère.
-Je sais.
-Tu ne peux rien y faire.
-Je sais.
Il soupira, lui prit les mains et les baisa une par une. Il s'excusait par avance de son départ. Il s'excusait de lui faire du mal, il s'excusait de partir. Ils s'embrassèrent doucement, puis follement. Il avait l'impression étrange et pénible que ce voyage serait le dernier. Non. Il n'y pensa plus. Magnus. Quand il avait six ans, Magnus avait tué un chat, juste pour le plaisir. Il est malade. Jacob le savait. Son petit frère était malade et il devait tout faire pour le récupérer, le ramener, le soigner. Tout faire. Et même dans les bras de l'amour de sa vie, il ne pensait qu'à Magnus. Seul au milieu du désert...Il frissonna de peur:
-Jacob. Murmura Aysha.
-Oui?
-Si tu ne reviens pas je te tue.
Il ria. Aysha continua:
-Au moins, va dire au revoir à Anwar. C'est un bébé.
-Oui. J'irai.
Aysha descendit les escaliers, vérifiant une dernière fois que tout était prêt pour le départ de son mari. Jacob monta les marches qui le séparaient de la chambre du bambin. Les nourrices et gardes étaient là. Jacob leur demanda de partir un instant. Il prit son fils dans ses bras. Anwar ouvra ses grands yeux clairs. Les mêmes que ceux de son père. Ils ressortaient tellement sur sa peau métissée. Il sourit. Jacob eut envie de pleurer. Pourquoi partir quand on a tout ce qu'on a toujours voulu? Il embrasse le crâne chaud de son enfant, y versant quelques larmes. Anwar pleura brusquement. Comme-s'il sentait l'anxiété de son père, la peur, l'angoisse, le désir de rester...Tout à la fois. Il pleura. Encore et encore. Mais il est temps. Il reposa délicatement le nouveau-né dans son berceau et lui caressa les cheveux:
-Au revoir.
Il lui semblait que sa voix calmait l'enfant, alors il continua:
-Je ne te dirais pas de conseil, je ne te ferais pas la moral, rien. Je te dirais juste qu'être un être humain ici, dans le monde connu, qu'on soit Prince, ou mendiant, est difficile. Ecoute tes désirs, tes envies, et tu seras heureux, et si ce n'est pas le cas, tu auras au moins essayer, et alors le bonheur ne sera pas aussi loin que tu le crois.
Il se pencha et embrassa le front d'Anwar qui agitait ses petites mains potelées dans tous les sens. Il n'aurait pas dû venir, c'est encore plus dur. Magnus. Pense à Magnus. Jacob descendit les escaliers avec rapidité. Il s'agissait de ne pas faire demi-tour malgré les pleurs d'Anwar et les appels des autres enfants qui l'apercevaient par la fenêtre. Aysha attendait tenant fermement les rennes d'un cheval noir. Elle lui toucha doucement les poils et sentit une immense chaleur le transpercer et une peine incommensurable. Elle se tourna vers Jacob et dit:
-Le jour où tu as eu cet accident de cheval durant la course des notables...Ce jour-là j'ai découvert que j'étais capable d'aimer et que je n'étais pas condamnée à être comme mon père, pleine de vengeance, de haine, de pouvoir...
-Tais-toi.
Jacob lui prit la tête et l'embrassa. Il l'embrassa comme on embrasse pour une première fois une personne qu'on aime. Ils étaient revenus à ce temps où ils étaient de jeunes amoureux, fous, tiraillés entre le devoir et l'affection:
-Je suis désolé. Murmura Jacob entre les lèvres de sa femme.
-Ne le sois pas.
-Je m'en souviens de ce que tu m'as dit avant que j'aille affronter le tigre.
-On ne va pas reparler de ce tigre.
-Non, juste de « rien ne me fait plus peur que t'admettre que je t'aime ».
- Cette phrase n'a plus de sens à présent, maintenant rien ne me fait plus peur que te perdre.
Ils se serrèrent dans leurs bras si fort que Jacob crut étouffé. Il lui embrassa le cou, puis la joue et monta sur l'étalon noir prêt pour lui. Il leva les yeux vers la vitre où trois petites têtes observaient. Sofiane, Samira, Lina. Jacob détourna le regard. Il pleurait. Aysha s'approcha de lui:
-Je t'aime Jacob.
-Moi aussi, je t'aime Aysha.
Il se pencha vers elle et ils posèrent leurs lèvres les uns contre les autres. Puis sans prévenir, il tapa du talon contre son cheval et parcourut rapidement la distance qui le séparait de la grande grille dorée qui s'ouvrit devant lui.
La réunion des ministres ne l'intéressait pas. Aysha écoutait d'une oreille alors que le soleil se couchait. Tous parlaient de la situation avec le Targon, toujours houleuse, et la situation en Garmanie, au bord de l'explosion. Les forces révolutionnaires tiennent la capitale, alors que les forces impériales favorable au Radmacher tiennent le sud du pays, mais semblent en difficultés sans aucune arme. Aysha n'écoutait plus. Jacob. Elle pensait sans cesse à lui. Jacob. Bonne chance Jacob. Le conseil s'acheva et une collation fut distribué dans la salle adjacente. Aysha ne s'y rendit pas. Elle regagna sa chambre où elle allait dormir seule. Ce qui arrivait très rarement. Durant chaque déplacement Jacob venait, chaque nuit ils s'endormaient ensemble, et chaque matin, ils se réveillaient ensemble. Aysha ouvrit la porte de la suite qu'elle occupait depuis son mariage. Jacob n'était pas là. Sofiane. Sofiane était là. Allongé sur le lit à la place de son père. Il dormait, bavant un peu sur l'oreiller. Aysha s'assit près de lui, touchant de la paume de sa main sa chevelure ébène. Bel enfant. Il se réveilla, ouvra ses grands yeux et sourit:
-Qu'est ce que tu fais là Sofiane? Demanda sa mère.
-Je voulais pas que tu dormes seule Maman.
-Tu es un ange Sofiane. Viens dans mes bras.
Il se leva et se rua vers elle en l'enlaçant:
-Je peux rester? Fit-il de sa petite voix d'enfant.
-Oui tu peux. Tu es mon ange gardien à présent.
-Tu es notre ange gardien, à nous tous.
Aysha ria. Elle embrassa la joue de Sofiane. Tout à coup il fit signe vers la porte. Samira et Lina arrivèrent et se jetèrent dans le lit. Ils restèrent tous dormir à la place de leur père, alors que leur mère, Lina dans les bras, ne ferma pas les yeux de la nuit.
VOUS LISEZ
Les Seigneurs de Fallaris Tome 3: Garmanie
Ficción históricaHistoires politiques, amoureuses et fictionelles sur un monde dominé par les Seigneurs de Fallaris. http://lesseigneursdefallaris.tumblr.com/ Tome III: Garmanie "Le plus beau jour de la chute d'un tyran, c'est le premier" Tacite Huit ans aprè...