Chapitre V

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Enfermée au sous-sol du palais, Aysha prenait son mal en patience, priant ses dieux et espérant que ses enfants allaient bien. Elle orientait son visage vers le minuscule puit de lumière qu'offrait les barreaux de la pièce et elle joignait ses mains sur ses genoux en murmurant ses lamentations. Elle se sentait sombrer de plus en plus dans une folie telle que les murs lui paraissaient mouvant, que le fantôme de sa mère venait la hanter un peu plus chaque jour, lui répétant sans cesse que son amour pour Jacob l'avait mené à la ruine et qu'elle était issue de l'une des plus grande haine du monde, celle que Saphira portait à Damir. Comment un enfant issu de la haine peut-il aimer? Peut-il aimer son mari, ses enfants? Comment aimer après avoir tout perdu et n'être que le fruit d'une relation basée sur la domination et la colère? Comment? Toutes ces questions affolaient Aysha qui se réfugiait avec fracas dans de grandes prières bruyantes.

Non loin de là, Magnus pénétra dans une chambre, une de ses petites chambres d'invités qui servait lors des grands événements. Sur le lit reposait le corps propre de Jacob. Il était désormais vêtu d'un costume augustin brillant et typique et ses deux poings étaient fermés, reposant sur ses épaules. Magnus ne l'avait jamais trouvé aussi beau qu'à cet instant. La mort repose, la mort apaise. Seul avec le corps de son frère, il imaginait non sans mal, la peine de ses parents, en particulier celle d'Harold. Pia exprimait peu ses sentiments, sans pour autant douter qu'elle en avait. Elle devait rester stoïque, le dos droit, les mains fermes, espérant que tout cela n'était qu'un cauchemar. Oui, Magnus savait que sa mère ne lui pardonnerait jamais d'avoir laisser faire. La fière des Manaé était morte, le beau Prince Jacob, le bon père Jacob, le mari idéal...Et alors que Magnus commençait prudemment à s'en vouloir, il eut ce pique de haine envers son frère qui lui bondit au visage. Il avait tout réussi. Même a éviter que Pia lui en veule d'avoir abandonné le pays. S'approchant de Jacob, il le fixa. La culpabilité remontait en lui. Quatre enfants. Il avait quatre enfants. Tout à coup Magnus pleura, mettant sa main devant sa bouche, essayant d'étouffer sa tristesse. Lorsqu'il avait tiré sur Harold il y a des années, Jacob lui avait dit:

-Je te promets mon frère que quoi qu'il arrive je te protégerai. Même si je dois mourir pour cela. Tu es mon sang, je suis ton sang.

Et il avait respecté sa promesse. Il était mort en essayant de sauver Magnus de Daniel. Magnus éprouvait cette dualité pesante entre la haine et la culpabilité. Jacob méritait ce qui lui était arrivé ou n'était-il qu'un dommage collatéral de la politique de Pia envers Magnus? Et Harold...Il devait être dans le plus grand désespoir qu'il n'avait jamais connu. Il avait toujours exprimé la grande peine que pouvait être celle de perdre un enfant. L'ordre des choses était-elle que le parent meurt avant...L'ordre des choses avait été bouleversé dans le famille Nagendra. Daniel pénétra à son tour dans la chambre et resta accoudé au seuil de la porte:

-Tu tentes d'obtenir son pardon?

Magnus fit « non » de la tête avant de répondre sans détacher ses yeux de Jacob:

-Je tente de comprendre comment j'ai pu en arriver là. Est-ce ma nature profonde, mon éducation, ma famille, ma vie, mon âme? Qui est responsable en fin de compte de ce qui nous arrive? 

-Nous même. Tu te demandes si c'est ta famille, ta vie, ta nature, ton âme, mais c'est toutes ces choses à la fois. Elles nous constitues toutes. Par exemple, c'est ton ambition qui t'a conduit à moi, et ta nature qui t'a donné la volonté de martyriser ton propre frère, peu de gens en aurait été capable. 

-Je culpabilise Daniel. Jacob méritait-il de mourir ainsi? 

-Personne ne mérite jamais de mourir, mais la façon dont on meurt traduit inévitablement la façon dont on a vécu. Jacob est né pour se sacrifier. Il a sacrifice son trône, son pays, sa vie...Oublies ta culpabilité Magnus, le jour où tu seras sur ton trône tout ce que tu as fait sera oublié. L'histoire est écrite par les gagnants. 

-Que veux-tu dire par là? Demanda Magnus en levant les yeux. 

-C'est une évidence. Les perdants sont morts, alors ils ne racontent rien. Ria Daniel.

Puis, fier de son effet, il disparut d'un coup. Magnus resta seul avec le corps de son grand frère. Il se baissa prudemment comme-s'il avait peur de le réveiller et souffla dans son oreille:

-Je suis désolé.

Il recula. Ce furent les mots les plus durs qu'il eut jamais à dire. Les pensait-il? Oui. Mais pour combien de temps? Daniel a raison. L'histoire est écrite par les gagnants. Les gens oublient les personnages comme Jacob qui se sont contentés d'être père, d'être un mari. Les gens retiennent les personnages comme Daniel, ces dictateurs en puissances, ces empereurs volontaires, ces despotes éclairés. Oui. Il pensait ses excuses mais demain il les aura oublié.

La ville de Balsam était bien calme malgré la présence des soldats Targonnais qui se plaisaient ans la cité impériale. C'était au palais que l'agitation débuta. Tous attablés, généraux, rois, princes, il attendait patiemment que Daniel Moscov explique la raison de ce déjeuner imprévu. Assis au bout de la table, le jeune Daniel se leva, demandant le silence d'un geste. Magnus se tourna vers lui alors qu'Énis se tapotait le ventre exprimant sa faim. Daniel le toisa du regard avant de dire d'une voix forte et condescendante:

-Nous avons un problème. Un gros problème. 

-Si c'est Aysha je veux bien m'en occuper, elle est délicieuse. Dit Énis. 

-Ce n'est pas Aysha! Maugréa Daniel. Et je ne cautionne pas ce genre d'acte! On peut se haïr en se respectant! Le problème est plus important. Pia de Harval vient de répondre à une missive envoyée par la Tariqua il y a quelques temps déjà. Nous l'avons intercepté. 

-Que dit-elle, cette lettre? Demanda un des généraux impatient.

Daniel se racla la gorge, passa sa langue sur ses lèvres et, en se redressant, fit:

-Les Manaés rentrent en guerre contre nous. Ils soutiennent l'Auguste. Leurs flottes seront là dans peu de temps.

Toutes les voix s'élevèrent, paniquantes et surprises:

-Je ne vois pas pourquoi vous êtes surpris! Hurla Daniel. Vous pensiez que Pia allait nous laisser tuer son fils, et s'en prendre à ses petits-enfants sans réagir! 

-Voilà pourquoi la politique ne devrait pas être une affaire de famille. Murmura discrètement un général à Magnus. 

-Ça suffit! Cria Daniel en tapant du poing contre la table, renversant deux verres au passage. Nous devons nous préparer. Pia va envoyer l'une des meilleurs flottes du monde aux portes de Balsam! Nous nous sommes tant battus pour en arriver là! Mourir n'est pas une option! Abandonner non plus! Ces représailles étaient évidentes!

Les généraux se calmèrent, espérant que Daniel avait une idée. Ce dernier dit d'un ton fort:

-Préparez vos troupes! Préparez la flotte Augustine. Je ne laisserai pas les De Harval nous prendre ce que nous venons de gagner. 

-Mais que dit ma mère exactement? S'enquit Magnus. Je peux marchander avec elle, je la connais.

Daniel sortit la lettre de sa poche et la lança sur la table. Elle clissa jusqu'au jeune prince qu'il lut le contenu, avant de dire:

-C'est tout.

- Oui. Dit Daniel. C'est tout.

-Mais que dit-elle? Demanda Énis. 

-« J'arrive ». Murmura Magnus. Elle dit juste « j'arrive ». 

-Et vous qui la connaissez que cela signifie-t-il? Continua Énis impatient.

-Qu'elle est en colère. Affirma Magnus. Mais encore pire que je ne le pensais. Elle arrive. C'est elle qui vient. 

-Si Pia de Harval se déplace, alors nous avons fort à crainte mais amis, mais beaucoup a gagné, car nous allons gagner. Reprit Daniel confiant. Nous allons vaincre Pia et cela lui apprendra à venir d'elle même.

Les généraux applaudirent sous l'impulsion de l'un d'entre eux. Si le soutien de Pia envers l'Auguste était prévisible, sa venue propre, dirigeante immuable de sa propre armée, était innovante. Les de Harval restaient dans leurs palais en retrait, descendant des dieux anciens, ils ne fréquentaient pas les mortels de peur d'avoir à justifier leur mortalité évidente. Mais Pia ne venait pas en tant que fille du Nolan, ni en tant que descendante de Harald Nagendra, mais bien en tant que mère, en tant que mère en colère qui n'accepte pas le deuil de son fils. 

Les Seigneurs de Fallaris Tome 3: GarmanieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant