Chapitre XIII

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Il avait étrangement bien dormi. Trop bien dormi. Un sommeil de plomb sans cauchemar, ni hurlement. Il se redressa et constata que Tania avait déjà quitté la chambre. Ils avaient gagné la suite de Tobias après leurs ébats dans les écuries. Il se lava dans la salle de bain attenante, et descendit les grands escaliers pour le petit déjeuner. Il trouva toute la famille Radmacher attablée et impeccable. Tania était telle une apparition céleste et lointain de part son élégance, ses gestes fluides quand elle approcha sa tasse de sa bouche rouge, ce qui laissa une trace circulaire sur la porcelaine. Francis et Matthias se levèrent simultanément pour accueillir leur hôte. Le jeune David Dinkel. Le petit- déjeuner se prenait dans la salle à manger sur la table ronde où se trouvaient une dizaine de gâteaux différents. Tobias se servit généreusement. Il avait faim:

- Nous devons discuter Monsieur Dinkel. Commença l'empereur déchu.

-  Bien sûr, je suis là pour ça. Dit Tobias en amenant sa tasse de café près de ses lèvres.

- Nous nous verrons dans mon bureau après le petit-déjeuner.

Tobias fit « oui » d'un signe de tête. Il mangeait dans le silence. Tania le regarda de ses grands yeux. Yeux foncés et pénétrants. Il se mit à trembler. Il se calma quand il remarqua qu'elle sourit du coin de la bouche. Matthias parla du mauvais temps malgré l'été chaud. Francis approuva.

Dans le bureau de Matthias, Tobias fumait une cigarette de qualité et observait d'un oeil moqueuse le portrait de la famille Radmacher. Tania ne ressemblait pas du tout à ses parents. Le mouton noir de la famille, comme lui. Justement la voici en compagnie de son cher papa. Sans aucun scrupule Tobias se fichait complètement de la portée dangereuse de ses actes. Vendre des armes, poser des bombes qui ont tout de même pour objectif de faire peur et non de tuer. Mais personne ne sait vraiment ce qu'il va se passer. Tobias n'aurait pas imaginer passer deux nuits avec la Princesse Tania qu'il détestait cordialement alors qu'il éprouvait du vif désir. Un sentiment incontrôlable qu'il regrettait chaque fois qu'il y cédait. Il écrasa sa cigarette et sourit à l'assemblée réunie. Ainsi voici le moment tant attendu. La signature du contrat. Matthias eut un sourire satisfait en lisant le contenu du papier que venait de lui tendre Tobias. Ce dernier reprit un cigare sans rien demander et brusquement Tania lui prit des mains et l'écrasa en lançant un regard fort et narquois à son « invité ». Tobias esquissa un sourire avant que Matthias n'interrompt le jeu de regard qu'il livrait avec Tania:

-C'est parfait. Nous sommes d'accord sur tous les points. Je vais signer.

- Non. Dit Tobias. Ne signez pas. Brûler le papier.

-Comment cela?

-Vous voulez vraiment qu'on laisse des traces de nos conversations. Nous allons mettre en jeu notre parole et nos vies dans cette affaire, pas de papier, juste nos paroles. Nous devons jurer.

-Jurer?

-Jurer que nous accomplirons ce que nous sommes destinés à faire, en clair ce qu'il y a écrit sur ce contrat. Nous l'avons tous lu et nous sommes d'accord. Nos paroles doivent suffire, car si ça tourne mal, il n'y aura aucune preuve écrite. Si cela se passe mal, nous ne nous connaissons pas, nous ne nous sommes jamais vu. Est-ce-clair?

Matthias fit la moue et approuva d'un signe de tête. Tobias s'approcha de l'Empereur sans trône et mit la main sur son coeur, Matthias l'imita. Ils jurèrent ensemble de respecter chaque close du contrat ici présent, et d'un geste Matthias jeta la feuille au feu. L'Empereur proposa de trinquer à la « nouvelle » qu'il décrivit comme excellente et affirma qu'il avait un pied en Garmanie grâce à cet accord. Tobias fit la moue en prenant le verre dans sa main. Boire, manger, fumer, dormir, voici le quotidien des dirigeants, même ceux qu'on chasse du trône. Ainsi rien ne change? Les privilèges restent malgré tout. Tobias avait la mauvaise habitude de remettre le monde en question, ou la bonne habitude. Cela dépendant de l'issue de sa réflexion, quand elle conduisait à la violence et au rejet, ou ne pouvait qualifier cette réflexion que de mauvaise habitude, mais quand il aboutissait à une réelle pensée progressiste et limite populiste, alors on pouvait voir cela comme une bonne habitude. Et à cet instant, il sentait qu'il basculait vers sa mauvaise habitude. Il se mit à penser, à réfléchir, ainsi il allait donner des armes à des soldats garmaniens impérialistes pour tuer des révolutionnaires, des révolutionnaires qu'il doit faire passer pour des terroristes en Allénie pour que l'impératrice Alexane envoie l'armée à Finack. Oui, Matthias avait raison, il a un pied en Garmanie. Et Tobias avait l'impression d'avoir un pied dans la tombe, et que Maria se retournait dans la sienne.

On lui avait proposé de rester pour la soirée, Tobias accepta pour la seule raison qu'il aimait la présence des dirigeants près de lui, mais surtout adorait se mettre en avant avec ce qu'il nommait élégamment sa « légende », en clair son identité secrète. Une identité élaborée, presque parfaite, qu'il testait allègrement durant ce type de soirée. Alors dans un beau costume, il déambula de groupes de conversation en groupes de conversation, son verre à la main, heureux de montrer à Tania Radmacher qu'il pouvait mentir comme il respirait. Elle arriva vers lui dans sa toilette argentée, et mit une main gantée sur son épaule:

-Ami, fit-elle en souriant faussement, vous me semblez bien à l'aise.

-Cela vous déplait, j'ai bien cru comprendre que parfois cela vous plaisait.

-Cela dépend des circonstances.

-Ne soyez pas aguicheuse en public.

-Je vous gêne.

-Je suis un grand timide.

-Et un excellent menteur. Conclut-elle en s'écartant.

Tobias finit son verre brusquement et le posa sur le plateau du serveur à sa gauche. Il la rattrapa par le bras:

-J'aimerai comprendre ce que vous voulez de moi.

-Le contrat n'était pas assez clair. Maugréa-t-elle.

-Je ne parle pas de ça. Je parle de vous et moi.

Elle prit un visage choquée et surpris avant de rire légèrement:

-Vous pensez qu'il y a un « vous et moi »?
-Ce que nous avons fait implicitement signifie qu'il y a un « vous et moi ».
-Tant qu'il n'y a pas un « nous ». Répliqua-t-elle méchamment. Vous devez comprendre que je fais ce que je veux de vous, si je veux que vous dansiez, vous dansez, je veux que vous mouriez, vous mourrez. Cela doit être clair dans votre petite tête de fou furieux prêt à donner des armes aux gens dont vous ignorez tout.

-Ainsi vous pensez encore comme au siècle dernier, nous avons des droits!

-Ne croyait pas ce que disent les sois disant intellectuels de ce monde! Ils sont tous pourris!

-C'est vous les pourris! Regardez-vous! Vous êtes capables de tuer pour un trône! Hurla Tobias.

-Allez vous faire voir!

Elle se dégagea de lui et disparut dans une pièce adjacente où quelques invités jouaient au billard. Tobias était énervé comme il ne l'avait jamais été, ou alors depuis longtemps. Il tapa du pied comme un enfant et sentit monter en lui une envie féroce et frénétique de cigarette. Il sortit sur la terrasse et fuma allègrement deux voir trois cigarettes. Il en avait raz le bol. Jetant un oeil par la baie vitrée, il vit tous ses hommes et femmes tranquille dans leur vie de bourgeois, de nobles déchus, de pourris gâtés, il les détestait tellement. Maria s'imposa à ses pensées brusquement comme un rappel de sa propre décadence. Que dirait-elle? Il le sait, elle dirait comme d'habitude « Tu ne dois pas faire ça, Toby, tu vends ton âme aux mauvaises personnes ». Il sait. Il jeta sa cigarette dans l'arbuste trop bien taillé et regagna l'intérieur ayant pour objectif de profiter des petits fours gratuits.

Gabriel prit rapidement connaissance du contrat et prévenu son patron, la production d'arme pseudo-défectueuse commença le lendemain, le première livraison devait avoir lieu dans une vingtaine de jours. Assis au comptoir, Tobias fumait, fixant sa cigarette comme un objet étrange qu'il découvrait. C'était lui, sa propre personne qu'il découvrait. Qui suis-je? Mais surtout qui veux-je devenir? Cette question lui taraudait l'esprit depuis plusieurs jours. Gabriel débarqua amenant avec lui la froideur de l'extérieur et un souffle étonnement chaud:

-Toby, tout sera prêt à temps.

Tobias écrasa sa cigarette et haussa les épaules:

-Tu sais Gabriel, je pense que les Radmacher sont les pires ordures du monde connu.

-Tu dis cela car ils nous demandent de poser des bombes, ne t'inquiète pas tout sera fait en sorte que seules les infrastructures prennent.

-Je ne dis pas ça pour ça. Rectifia Tobias.

Il prit une énième cigarette qu'il fumait en se posant encore les mêmes questions.

Les Seigneurs de Fallaris Tome 3: GarmanieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant