Chapitre 27

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Jelena Goran/24 février 2007

-Tout va bien ? s'inquiète mon père.

-Je... Oui oui ! affirmé-je.

En réalité, je crois ne m'être jamais sentie aussi mal. En plus avant, je pouvais me raccrocher à l'écriture, à mon blog, je pouvais penser à Luka... Ce qui me permettait de tenir me détruit aujourd'hui.

-Repose-toi, ça fait déjà trois heures que tu travailles...

Je me retiens de lui faire remarquer que si je veux réussir je n'ai pas le choix ; mes notes de maths n'ont jamais été si catastrophiques, je dois me ressaisir rapidement.

-Fais une pause, vraiment...

J'acquiesce, m'effondre dans mon fauteuil, allume la télévision... Avant de l'éteindre aussitôt, incapable de rester devant le spectacle qui s'offre à moi : Dinamo Zagreb-Hadjuk Split, 2-0... Et je jurerais avoir aperçu une tignasse blonde au milieu de la pelouse.

Pourquoi me hante-t-il encore ?

Je me lève en tremblant.

-J'ai... J'ai besoin de sortir... prendre l'air... annoncé-je d'une voix blanche.

Ma mère fronce les sourcils :

-Ca serait peut-être plus raisonnable de rester ici à regarder la télé... Non ?

-Je... Non, je t'assure, je n'ai pas envie, il n'y a rien d'intéressant à regarder...

-Il est 20h30...

-Je te promets de rentrer bientôt !

-Avant 21h ?

-Oui, promis, soupiré-je.

-En... En marchant ?! s'étonne mon père.

Je vois très bien où il veut en venir.

-Oui... J'en suis capable, vous allez voir... Et j'espère que vous verrez enfin que je peux encore marcher, que je peux y arriver.

Je m'empare de mes béquilles et sors de chez moi en retenant un cri de douleur. Je décide d'aller me promener au bord de la Save... Mais me ravise rapidement : le vent est trop fort pour que je puisse continuer à marcher dans cette direction. La nuit tombe, et je décide de rentrer chez moi ; je n'ai plus la force de rester debout, et puis... Avec un peu de chance, le match du Dinamo est déjà fini.

Je passe devant le cimetière, et deux silhouettes massives s'arrêtent à un mètre de moi. Je sens qu'ils me fixent, et je pense un instant à m'enfuir en courant... Avant de me souvenir que j'en suis bien incapable.

-C'est elle, tu crois ? chuchote l'un d'eux.

Mon estomac se retourne lorsque je reconnais la voix de Mirko.

-Qu'est-ce qu'elle foutrait là ? chuchote Zlatko, qui semble enrhumé.

-Franchement, je sais pas... Tu penses qu'elle est courant ?

-Et toi, tu penses vraiment qu'elle oserait venir si c'était le cas ?

Ils s'approchent, je recule et manque de perdre l'équilibre.

-Ca t'amuse, hein, de venir ici ! s'exclame Mirko en me bousculant.

Je détourne aussitôt le regard... Mais j'ai, entre temps, pu apercevoir une larme couler sur sa joue.

En toutes ces années, c'est la première fois que je vois Mirko pleurer.

-Je... S'il te plaît... S'il vous plaît... Laissez-moi...

-T'as pas fini de nous gâcher la vie ? continue son frère.

-Je...

-Comment oses-tu ? Tu as brisé notre famille !

Ils s'approchent dangereusement, et je recule encore plus.

-C'est... C'est faux !

Mirko ricane, mais j'ai l'impression qu'il souffre autant, sinon plus que moi.

-Tu iras demander à ton père s'il connaît ma mère...

-Notre mère, renchérit son jeune frère en contractant ses poings.

L'aîné reprend :

-Tu iras lui demander s'il n'a pas trop bu durant cette soirée de juin 1997, s'il n'a pas pris le volant alors qu'il savait pertinemment qu'il avait abusé, s'il n'a pas croisé une voiture à quelques mètres de chez lui, s'il ne l'a pas violemment percutée... Et si la femme qui se trouvait dedans n'est pas décédée !

Je ne parviens même pas à répondre.

-Tu iras, insiste-t-il, lui demander s'il n'a pas insisté auprès du juge pour que l'affaire ne s'ébruite pas et que le meurtre devienne aux yeux de tous un accident, s'il n'a pas été emprisonné loin de Zagreb pendant quatre mois et que ta mère vous a ruinés pour payer l'avocat et la caution pour libérer l'ordure qu'est ton père... Et pour t'offrir une vie de famille alors que vous vous êtes pas gênés pour briser la nôtre !

Et d'un coup, je comprends tout : la raison de la haine viscérale qui me vouent et de toute l'énergie qu'ils mettent à détruire ma vie, le jour où Zlatko m'a frappée parce que j'avais parlé de sa mère, le nombre incalculable de fois où mes parents posent des questions sur cette famille, nos problèmes d'argent alors que quand j'étais petite tout allait bien financièrement, les gens qui s'étonnent à chaque fois que mon père annonce fièrement qu'il ne boit pas, ou plutôt plus...

Mes parents sont des assassins... Et eux aussi m'ont menti, depuis le début, ils me mentent... Ils m'ont trahie comme Luka m'a trahie.

Nikad Ne Odustati / Luka Modric Où les histoires vivent. Découvrez maintenant