Chapitre 48

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Le sable noir crissa lorsque Lucas se hissa péniblement sur ses genoux. Il était enfin sur l'île du Refuge, sanctuaire des phénix, un lieu sacré où la présence humaine était bannie. Qui aurait voulu rester sur ces terres volcaniques inhospitalières, sans aucune trace de végétation ? Un désert rocailleux surchauffé, surmonté du dôme d'un volcan en pleine activité, dont le lac de lave débordait régulièrement pour aller s'épandre jusqu'aux flots de l'océan.

Seuls quelques rochers subsistaient, abrupts, aux arêtes vives et tranchantes, derniers vestiges de la roche mère originelle, encore vierges de la pâte visqueuse et surchauffée qui deviendrait rêche et poreuse en se solidifiant. La plage de sable noir représentait le dernier symbole de la résistance de la pierre face à l'implacable force d'érosion de l'océan.

Sa respiration était rauque et sifflante, ses vêtements déchirés par endroits, et une bonne moitié de son visage était mangée par un coup de soleil. Il savait s'être endormi après avoir échoué sur la plage, peut-être une heure, peut-être deux. Il aspirait au repos ; ses forces déclinaient, il était épuisé, seul le besoin de revoir Lika lui permettait d'avancer. Jamais il n'aurait cru que la puissance de ce lien qui les unissait soit si intense.

La tristesse l'envahit à la vue des nombreux corps sans vie qui jonchaient le sol çà et là. Des cadavres de phénix, leur plumage éteint. Nulles plumes rouges flamboyantes, seul un bleu délavé subsistait. Les phénix auraient dû s'enflammer en mourant, pour mieux renaitre de leurs cendres. Le poison les avait condamnés en les empêchant de générer leurs flammes.

Il se traîna encore sur quelques mètres, s'écorchant les genoux sur la roche affleurante qui avait remplacé le sable. Et elle fut là, entourée de quelques autres survivants, aussi mal en point. Ils résisteraient jusqu'au bout, pour maintenir la Barrière et protéger la Fédération le plus longtemps possible.

Elle se lova dans ses bras, nicha sa tête dans son cou, s'imprégnant de lui une dernière fois. La souffrance était toujours là, mais le soulagement l'avait rejoint. Ils étaient ensemble ; tout était terminé.

Pardonne-moi, Lucas.

Un souffle qui effleura son esprit, alors qu'il sombrait enfin dans les ténèbres.

*****

Ce fut Itzal qui trouva le corps en premier, la dépouille d'un phénix contre lui. Aioros demeura en retrait pour laisser les jeunes gens exprimer leur peine. Ils essayaient d'être braves et de refouler leurs larmes ; ils n'étaient pourtant plus des enfants, et ce n'était pas la première fois qu'ils voyaient la mort emporter un proche ; pourtant nul d'entre eux ne s'y habituerait jamais.

Satia n'arrivait pas à croire que la vérité fut si cruelle. Au fil du temps, Lucas était devenu un point d'ancrage solide dans sa vie. Toujours là quand elle avait besoin de lui, sachant deviner ses craintes et ses désirs, capable de la comprendre sans la juger, de croire en elle malgré tout...

Elle ne pouvait le nier, sa vie avait changé le jour où il s'était agenouillé devant elle et avait prononcé le serment du Sa'nath. Sur le moment, elle n'avait pas vraiment compris son importance : elle découvrait à peine les Massiliens et leur sens de l'honneur surdéveloppé, avec leur passion pour les engagements en tout genre. Ce n'était que plus tard qu'elle avait appris que le Sa'nath était plus qu'une simple promesse d'assistance. Il avait lié leurs deux existences d'une manière irrévocable alors qu'elle devenait son Estérel. Lucas avait toujours veillé sur elle.

Et elle venait de le perdre, lui aussi, comme son père. Comme sa mère.

C'est en pleurs qu'elle s'effondra sur lui, refusant d'admettre la terrible réalité de sa disparition.

Les Douze RoyaumesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant