Le bal des seigneurs, partie 2

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« Don't be like the rest of them darling. »

Des centaines de personnes discutaient et mangeaient, certains debout, d'autres assis, tandis que d'autres encore dansaient avec élégance sur la piste. Nous voilà dans les réceptions des hauts dignitaires Ivoiriens. Seuls les plus éminents personnages de notre monde y étaient acceptés.

            Notre entrée fut remarquée, comme d'habitude. Des dizaines et des dizaines de regards convergèrent vers nous. Un sourire éclatant naquit sur mes lèvres, un sourire faux, comme tous ces gens réunis ici. Toujours accrochée au bras de mon frère, nous avançâmes sous une lumière éclatante, sous les yeux de la haute société de notre monde. Mais mon frère et moi connaissions tout des codes de cette société, nous y baignions depuis notre plus tendre enfance. La politique, les trahisons, le mensonge, et les faux semblants n'avaient plus aucun secret pour nous.

            Tous les hommes et les femmes présentes aujourd'hui, les plus riches, vivaient dans les derniers étages de la Tour d'Ivoire, les étages en dessous, en revanche, n'avaient aucun ordre, ceux d'en bas étaient aussi riches que les autres. Mais les plus hauts nobles – ils étaient un bon millier - vivaient en haut. Ma famille vivait à l'avant-dernier étage. Quant aux domestiques, ils vivaient avec les familles qu'ils servaient, et leur propre famille vivaient dans une partie de la Tour que je n'avais jamais visitée jusqu'à lors, située dans une partie des souls sols de la Tour, ils n'étaient pas pauvres, mais ils ne vivaient pas non plus dans le luxe dont les autres habitants avaient le droit.

Quatre familles régnaient sur les Ivoiriens, les quatre familles des Créateurs de la Tour. Mais même au sein de Créateurs, il y avait une hiérarchie, leur chef se dénommait Maximilian Malkam.  Ma famille descendait d'Alexander Eléazar, le bras droit de ce dernier. Mon père était, ainsi, le bras droit du descendant de Maximilian ; Melech. C'était lui qui avait la main mise sur notre société. Et mon père dirigeait avec lui. Nous étions la seconde famille la plus puissante.

            Comprenez donc, à présent, la valeur que j'avais aux yeux de tous ces gens. Tout le monde au sein de la Tour d'Ivoire connaissait mon nom, ainsi que celui de tous les descendants des Créateurs.

            Pour continuer à préserver ce pouvoir restreint, il avait été décidé deux choses, la première était que les familles de Créateurs ne pouvaient engendrer que deux enfants, et la deuxième, que seuls les ainés de chaque famille de Créateur auraient la possibilité, après avoir été mariés, de garder leur nom de famille. Ainsi, c'était Galaad et non moi la descendante légitime des Eléazar. Lorsque je serais mariée à un homme que mes parents auront choisi pour moi, je perdrais mon nom pour prendre le sien. Et évidemment, aucun de mes enfants n'aura le droit d'arborer la crinière blonde de ma famille. Et si les jeux de pouvoir faisaient en sorte que des cadets des familles des Créateurs se mariaient, ils prendraient le nom de jeune fille de l'une de leur mère ou de l'un de leur père, qui ne descendait pas de la famille de Créateur en question.

            Les cadets n'existaient plus après leur mariage. Cependant, ils étaient tout de même mariés aux plus riches familles, mais ils se verraient forcément descendre l'échelle sociale. Voilà pourquoi, en fouillant la foule des yeux, je pouvais voir une maigre poignée de femmes ou d'hommes avec les mêmes cheveux que moi, mes cousins, tantes éloignées, dont je ne connaissais même pas les noms. Ils n'avaient tout simplement plus le droit de prétendre appartenir à la famille Eléazar, et il en allait de même pour les trois autres familles de Créateurs.

            D'un côté, j'étais heureuse de pouvoir échapper à cette vie de protocole, et ne plus lécher les bottes de Melech, mais en même temps, l'idée que mon nom soit effacé de la famille Eléazar me nouait le ventre, c'était mes racines, mes origines. Mais j'étais persuadée qu'avec Galaad, notre famille avait encore de beaux jours de tyrannie devant elle.

            Les gens m'observaient à la dérobée, j'étais également connue pour être d'une grâce sans pareil, mes moindres gestes étaient chargés d'une douceur et d'une élégance que je devais à une éducation des plus strictes. Mes parents avaient réussi à faire de moi une parfaite princesse, belle, arrogante à souhait, riche, élégante et gracieuse, intelligente, mais sans rien laisser paraitre, et le plus important de tout : docile.

            Mes parents fendirent la foule, leurs pas les menant tous droit vers les organisateurs de toute cette mascarade. Les Malkam. La famille qui régnait sur la Tour d'Ivoire, les descendants de Maximilian Malkam.

            Nous arrivâmes vers un couple habillé avec gout, distribuant des poignées de mains et des sourires tout aussi faux que le reste. Ils nous virent arriver et se dirigèrent vers nous. Mon père échangea une poignée de main avec Melech Malkam, l'homme le plus puissant de ce monde. Ils se regardèrent dans les yeux, échangeant par un simple regard tout ce qu'ils pensaient. Ils avaient grandi ensemble, et travaillant main dans la main, ils manipulaient tout le monde, mais restaient pourtant loyaux l'un envers l'autre. Mon père était le seul en qui Melech avait confiance, et vice-versa.

            Melech salua ensuite ma mère, puis mon frère, et enfin moi. Ses yeux, d'un gris limpide, se posèrent sur moi et me sondèrent. Je fis une révérence et lui offris mon plus beau sourire, utilisant mon charme naturel pour lui cacher mes véritables sentiments. Il sourit, visiblement ravi.

            -Ta fille est plus belle de jour en jour, mon vieil ami, dit-il à l'attention de mon père.

            Ce dernier se contenta de me regarder, comme s'il me voyait pour la première. Ma mère, elle, arborait un horripilant sourire suffisant. Elle rayonnait de fierté cette saleté.

            -Vos paroles me touchent beaucoup, Seigneur Melech, minaudai-je.

            Melech Malkam était l'homme le plus détestable que je connaissais, tous les Malkam étaient détestables, tout compte fait. Pétris d'arrogances, de pouvoir, ils se prenaient pour les maitres du monde depuis des générations, et nous, les autres familles de Créateurs, devions ramper à leurs pieds pour obtenir leur faveur. Au point que certaines femmes n'avaient d'autres choix que d'accepter de finir dans leur lit, afin d'éviter de perdre leur titre et la richesse que leur famille avait accumulée.

            Aussi étrange que cela puisse paraître, la politique de la Tour d'Ivoire était une démocratie, factice de mon point de vue, mais elle était là. Des Représentants des Ivoiriens étaient élus tous les 6 ans, ils étaient une douzaine, des politiciens, scientifiques, et autres. Évidemment, les quatre familles faisaient toujours partie de ceux qu'on appelait les Représentants, mais eux étaient élus à vie. Malgré ce qu'ils essayaient de nous faire croire, Melech restait en haut de la noblesse. Il n'avait pas les pleins pouvoirs, pas officiellement du moins. Aidé de mon père, il tirait les ficelles en coulisse.

            Malkam avait le même âge que mon père, il était doté d'un regard envoutant, de cheveux bruns soigneusement coiffés, d'un sourire charmeur, d'un charisme à toute épreuve, d'une voix puissante, grave et d'un esprit diaboliquement intelligent. Tout son être transpirait le pouvoir et la force, il était grand et possédait un corps bien bâtit, un visage agréable et rassurant, mais qui cachait un esprit torve.  Pour moi, il était le mal incarné, il représentait tout ce que je haïssais dans ce monde, mais il était mon chef, mon seigneur. Et je lui devais le respect et une loyauté totale.

            Séraphina Malkam était l'opposé de ma mère. Je ne la détestais pas autant que son mari. Elle avait revêtu une robe bleu ciel qui épousait ses formes, ses cheveux châtains étaient lâchés sur ses épaules et lui tombaient jusqu'au bas du dos. Ses yeux bleu clair étaient bienveillants, chaleureux, je m'étais toujours demandé ce qu'elle pouvait faire avec un homme tel que Melech. Peut-être n'avait-elle pas eu le choix, pourtant elle semblait heureuse et toujours souriante. En public du moins... Elle n'était pas malveillante, je le sentais au plus profond de moi, mais elle avait épousé un Malkam, elle était donc une ennemie à mes yeux.

            Un groupe de gens s'approcha soudain de nous. Je la vis tout de suite. Mais comment ne pas la remarquer ?

La Tour d'Ivoire - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant