La Tour d'Ivoire - Tome 1

Echos du passé

« We're just kids, we aren't supposed to be heroes. »

Auteur inconnu

Je restai longtemps à contempler ce merveilleux tableau. Les yeux grands ouverts, je croquai ce paysage que je n'aurais jamais cru voir un jour. N'en pouvant plus de rester si loin de cette merveille, je me mis à courir, et sans réfléchir, je me laissai tomber sur le sable chaud.

    Je riais aux éclats, les yeux tournés vers le ciel et le soleil éclatant qui brûlait ma peau, ma peau qui n'avait jamais connu la lumière du jour, 18 ans à vivre enfermé.

    Mais bientôt, les rires firent place aux larmes. Elles coulèrent sur mes joues et se perdirent dans ma chevelure déjà noyée de sable. Je sanglotai en silence. Pourquoi pleurais-je ? Pleurais-je pour ma grand-mère, qui n'avait jamais pu connaitre le bonheur inestimable de respirer de l'air pur et de voir le soleil briller sur la mer ? Pleurais-je pour Iris, ma meilleure amie, que, malgré tout ce que je disais pour me convaincre du contraire, j'avais abandonné à son sort, là-bas, dans la Tour ? Pleurais-je pour ce que j'avais offert à Ayaan cette fameuse nuit ? Pleurais-je pour ces gens assassinés dans les souterrains ? Pour les parents d'Elina ? Pour l'être cher que Raphaël avait perdu ? Ou bien pour tous ces gens qui avaient péri dans ces guerres interminables qui ravageaient notre planète depuis plus de 4 000 ans ?

    Peut-être pleurais-je simplement l'Era d'avant...

    Je me lamentai encore égoïstement sur mon sort lorsque je vis des enfants qui jouaient sur le sable, non loin de là. Ils se battaient avec des petites épées de bois. Ils étaient cinq, mais lorsque je les observai plus attentivement, je compris avec stupeur qu'ils n'appartenaient pas aux mêmes Nations. La petite fille aux longs cheveux blonds et aux yeux rieurs était une Diamant, le garçonnet aux cheveux bruns bouclés, un Émeraude, il lui tenait la main et semblait la protéger d'un adversaire coriace, une Perle aux yeux bleus presque transparents, les deux autres étaient un Saphir et une Tourmaline. Je n'en croyais pas mes yeux, après tout ce que Raphaël et les autres m'avaient raconté sur les Nations, voilà que leurs enfants jouaient ensemble, et une Diamant et un Émeraude combattaient ensemble ! En les voyant, si innocents, et jouant ensemble comme des frères et des sœurs, je compris que tout n'était pas perdu, qu'il y avait encore une chance que les Nations vivent une bonne fois pour toutes en paix. Et si cette possibilité existait quelque part sur Terre, je me promis de la chercher, pour ces enfants, pour les miens, un jour, mais aussi pour des gens comme Elina, Raphaël, Clara et Myriam, qui avaient déjà tant perdu pour leur jeune âge.

    Mais une petite voix mauvaise me souffla : Est-ce vraiment ton combat, Era Eléazar ?

    Je m'arrachai à ce précieux spectacle lorsque je sentis le sol se mettre à trembler sous mon corps. Je sautai sur mes pieds et entendis des cris d'affolements provenant du marché. Les parents coururent précipitamment, armes à la main, chercher leurs enfants sur la plage.

    Je me précipitai dans la foule à la recherche des autres. C'était le chaos. Tout le monde courrait dans tous les sens, se bousculait, des enfants hurlaient, appelant leurs parents, quand soudain des avions fendirent le ciel à toute vitesse. Il y en avait au moins quatre, mais je ne pouvais le dire avec certitude, la minute d'après, ils étaient déjà loin. Le calme revint petit à petit sur le marché.

    Je poussai un cri de surprise lorsque je sentis quelqu'un m'attraper le bras.

    -Lévana, tu es là ! J'ai eu peur qu'il te soit arrivé quelque chose...

    C'était Elina. Ses grands yeux étaient emplis de terreur. Raphaël, Clara et Myriam étaient derrière elle, et contemplaient nerveusement le ciel.