La Tour d'Ivoire - Tome 1

Douce désillusion

« Then we fight. Together. »

Auteur inconnu

Grand-mère avait le regard perdu dans les flammes, leurs ombres rougeoyantes venaient lécher son visage qui avait subitement perdu toute couleur. Ses cheveux blancs étaient noués en un chignon lâche sur le haut de son crâne. Elle ne disait pas un mot.

            Nous étions assises devant ses quartiers, où nous avions allumé un petit feu pour nous réchauffer. La nuit était tombée, et bien que les nuits d'été fussent plutôt agréables jusqu'à présent, ce soir l'air me semblait glacé.

            Je ne savais que dire. Il y a quelques minutes, je lui avais annoncé ce que j'avais entendu à Narda. Je lui avais répété mot pour mot ce qu'Ayaan avait dit. Je lui avais dit que sa fille était condamnée à mort.

            Arianna allait mourir. Je n'arrivais toujours pas à me faire à cette idée.

            Et tout cela est ta faute, tu aurais pu la sauver, mais tu as été lâche, une fois de plus, me murmura une petite voix dans ma tête.

            Ne pouvant plus garder cela pour moi tant la honte me rongeait, je lui avais fait part de ce qui s'était passé là-bas. Je lui avais conté ma lâcheté et mon égoïsme. Je m'étais alors mise à pleurer, disant à quel point je m'en voulais, que j'aurais pu la sauver, que j'aurais dû me rendre, tout en la suppliant de me pardonner.

            C'était il y a plus d'un quart d'heure, ma grand-mère ne m'avait toujours pas répondu, et ne semblait pas en état de le faire. Pourtant, je n'aspirais qu'à entendre sa voix, pourvu qu'elle me parle ! Qu'importe si c'était pour me pardonner, ou bien m'accabler de reproches, j'avais besoin d'entendre la voix de ma grand-mère.

            -Grand-mère, finis-je pas dire, je... peut-être qu'il n'est pas trop tard... peut-être que nous...

            -Inutile de t'excuser ma petite, souffla-t-elle tout bas.

            Puis elle ajouta :

            -Il n'est rien que nous puissions faire à présent.

            -Grand-mère...

            Elle releva la tête et croisa mon regard, elle essaya d'esquisser un sourire rassurant, mais je pus tout de même voir la lueur de déception dans ses yeux, bien qu'elle tenta vainement de la dissimuler. Je l'avais déçue, j'avais déçu la personne qui comptait le plus pour moi. 

            La sensation fut terrible, insoutenable, la décevoir était bien la dernière chose que je voulais, et j'avais mal, tellement mal à l'idée de ce qu'elle devait penser de moi en cet instant, elle qui avait mis tant d'espoir en moi !

            -Tu n'es pas responsable de ce qui est arrivé. Arianna a choisi son destin depuis bien longtemps, avant même ta naissance. Elle a choisi en connaissance de cause. Elle savait que ses choix ne seraient pas sans conséquence, ni pour elle ni pour ceux qu'elle aimait. Elle n'avait que 15 ans lorsqu'elle a choisi de suivre mes pas, je n'avais alors jamais été aussi fière d'elle, j'avais peur, j'étais terrorisée, mais je savais que les Souffleurs de Rêves et résister étaient nos seuls saluts. Arianna le savait aussi. Elle l'a toujours su et à l'inverse de son frère, elle a fait le choix le plus difficile qui soit ; sacrifier sa vie, sa famille, y compris sa propre vie.

            Elle s'arrêta subitement et baissa les yeux.

            -Si elle était amenée à mourir, je ne m'en remettrais jamais, mais je sais aussi qu'elle ne s'est pas laissé abattre lorsqu'elle, comme tout le monde, a cru à ma mort. Elle n'a pas baissé les bras, jamais, alors que le chagrin la submergeait surement.