Le ciel de la liberté

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« If we wait until we are ready, we we'll be waiting for the rest of our lives. » Lemony Snicket

J'avais raison, il y avait des alcôves. Mon ravisseur s'y cacha et attendit, attendit des heures, jusqu'à ce que les derniers gémissements et hurlements finissent enfin. Jusqu'à qu'Abel et ses hommes disparaissent.

Mon ravisseur soupira et me chuchota d'une voix douce mais non dépourvue d'autorité :

​-Suivez-moi sans faire le moindre bruit.

Il avait un drôle d'accent, un accent que je n'avais jamais entendu. Il avait une façon de parler si différente des habitants de la Tour, mais je n'osais lui demander qui il était, de peur qu'il décide de me tuer.

​Il me prit la main et passa devant moi, trop vite pour que je puisse apercevoir son visage. Je ne vis que son dos et restai bouche bée. Il était grand, musclé mais sans être imposant, et portait des habits brun-vert. Un pistolet et une épée étaient attachés à sa ceinture, ainsi qu'une petite dague. Il ne marchait pas comme nous, ses mouvements étaient plus agiles, précis, mortels. Il avait l'allure de quelqu'un qui savait se battre, et survivre.

​Un homme d'En Bas.

J'en étais certaine. Je devais me faire violence pour me concentrer sur ma course et non sur lui. J'avais envie d'étudier le moindre de ses gestes, et de lui poser un bon milliard de questions. Mais je n'en fis rien et restai silencieuse, consciente que si j'étais en vie, c'était uniquement grâce à lui.

​Des bruits de pas le firent se raidir, il me tira brusquement vers lui, me poussa contre le mur, et, un doigt sur la bouche, m'intima de me taire. Je n'osais même pas respirer.

​-Ces rats ne doivent pas être bien loin, quand même, siffla de rage un soldat.

​-Ne les sous-estime pas, ces hommes sont nés pour tuer.

​Les pas se rapprochaient, mais continuèrent tout droit, sans tourner vers nous. Il ne me lâcha pas tout de suite, attendant qu'ils soient assez éloignés. J'en profitai pour l'observer. Il était plus vieux que moi, mais je ne saurais dire son âge. Il avait des yeux d'un vert si foncé qu'ils paraissaient presque noirs, mais d'ici, avec ses yeux plongés dans les miens, je fus subjuguée par leur couleur. Je continuai à observer son visage, sa peau hâlée par le soleil, ses cheveux bruns coupés courts, ses lèvres d'une étrange couleur rougie, sa légère barbe de trois jours, sa mâchoire sculptée, ses traits délicats. Il n'avait rien des monstres dont on me parlait depuis que j'étais enfant. Il était si... humain. Ses yeux étaient naturels, d'une beauté incontestable, et sa peau... Il avait des cicatrices sur le visage, oh, pas beaucoup, mais çà et là, il était marqué par la vie. Des cernes sous les yeux, le front plissé par la crainte, les lèvres pincées. Je n'avais jamais vu un « vrai » homme de toute ma vie, sans artifice, sans manipulation génétique. Et je trouvais que c'était la plus belle chose que j'avais vue de toute ma vie. Ce visage, beau mais imparfait, ce nez légèrement cabossé était le signe de la vie à mes yeux, le signe qu'il restait encore un endroit sur Terre que les miens n'avaient pas encore détruit ou changé.

​-Venez, murmura-t-il, en prenant ma main avant de s'élancer dans ce dédale.

​Nous arrivâmes devant une échelle haute de dix mètres, au bout de laquelle une trappe était ouverte sur l'aube qui pointait, sur le ciel. Un ciel si bleu que j'en eus les larmes aux yeux. Des soldats de la Tour gisaient morts tout autour de nous.

​-Montez.

​Sans plus attendre, je m'élançai vers l'échelle et commençai à grimper, l'homme d'En Bas ne tarda pas à me suivre. Des larmes se mirent à nouveau à couler sur mes joues, la liberté était là, en haut de cette échelle. Bientôt je verrai le ciel, le soleil, je respirerai l'air pur de la Terre, je foulerai le sol de mes ancêtres.

​Lorsqu'enfin j'atteignis le dernier barreau, une main me saisit, et me tira sans la moindre difficulté vers le haut. Je laissai échapper un cri et essayai de me débattre, réussissant à donner un coup de pied dans le ventre de mon agresseur, qui grogna de douleur.

Avant que je ne puisse faire quoi que ce soit, on me noua un foulard autour des yeux, m'empêchant de voir quoi que ce soit. La frustration monta en moi, je voulais voir. VOIR. Mais l'homme me tint fermement contre son torse, je me débattais même si je savais qu'il était bien plus fort que moi, il suffisait de sentir les muscles puissants derrière mon dos pour comprendre que j'étais à leur merci.

Espérons qu'ils étaient là pour me sauver et non pour m'assassiner ou quoi que ce soit d'autre. Après tout, les soldats avaient dit qu'ils étaient nés pour tuer.

​Un rire retentit et quelqu'un, un homme, se mit à parler dans une langue que je ne connaissais pas. Je ne saisis qu'un mot connu au vol : fille.

​-Calme-toi, grogna un autre homme dans la langue de la Tour, sinon je serai obligé de t'assommer.

​-Vous n'avez rien à craindre de nous, continua la voix calme de l'homme aux yeux vert foncé, nous ne vous ferons aucun mal. Mais vous devez vous tenir tranquille.

Puis ils ne me dirent plus rien, ils continuèrent à parler dans leur langue, et je sentis la colère monter en moi. Pourquoi faisaient-ils comme si je n'existais pas ?

​Soudain, l'un d'eux me souleva et me posa sur un corps chaud. Je poussai un petit cri de surprise, l'homme soupira, perdant patience, grommela des mots dans sa langue puis appela :

​-Gabriel !

​J'entendis des pas se rapprocher, les deux hommes échangèrent quelques mots, et l'autre partit

​-C'est un cheval, il ne vous fera rien, m'expliqua une voix que je reconnus aussitôt.

​C'était donc son nom. Gabriel. L'homme qui m'avait sauvé. L'homme aux yeux vert foncé.

​-Un cheval ? demandai-je d'une voix rauque.

​Je savais à quoi cela ressemblait, mais je n'en avais jamais vu. Je pensais qu'ils avaient tous disparu de la surface de la Terre.

​-J'aimerais le voir, soufflai-je.

​-Ah, elle parle ! dit-il en riant. Oui, un cheval.
Je suis désolé, mais vous ne pouvez pas enlever votre bandeau avant que l'on soit arrivé au camp, mesure de sécurité, vous comprenez...

​Je hochai la tête, même si je sentais que mes yeux me brulaient et que des larmes menaçaient à nouveau de s'échapper.

​-Vous vous appelez Lévana, c'est bien ça ?

​-Oui, et vous Gabriel.

​-Perspicace, bravo. Ravie de vous rencontrer Lévana.

​-Moi aussi. Vous pouvez me tutoyer. Et... merci de m'avoir sauvé.

​Il rit à nouveau et monta devant moi.

​-Tiens-toi à ma taille et évite de tomber. 

​Je m'exécutai et la seconde d'après, nous fûmes partis.

La Tour d'Ivoire - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant