Les noces blanches

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« One night , a dark King appeared and offered me his hand. His heart. And his kingdom. »

Les milliers de visages tournés vers moi ne m'intimidaient pas, j'avais été élevée pour ce moment, toute ma vie avait été conçue pour que j'épouse Ayaan Malkam. Ce jour était enfin arrivé.
    Je me tenais fièrement aux côtés de mon père, son costume entièrement doré brillait, tandis que l'emblème noir des Malkam trônait sur sa poitrine, et que sa cravate noire prouvait sans ambiguïté à qui allait sa loyauté.
    Ses yeux noisette étaient fixés droit devant lui et ne laissaient rien paraitre, un bloc de glace aurait été plus expressif. Mon frère et ma mère étaient au premier rang, seule, somptueusement vêtu, d'or également. Je ne voulais pas croiser leur regard, surtout celui de Galaad que je sentais fixer sur moi depuis que j'avais franchi le seuil de la Salle de l'Union, où tous les mariages des Familles avaient été fêtés depuis la création de la Tour. Ma grand-mère s'était mariée ici, avec l'homme qu'elle avait aimé. C'était l'endroit où Arianna s'était également mariée, son époux tué par l'homme silencieux à côté de moi.
    Famille de meurtriers, pensai-je avec aigreur.
    Je ne voulais pas savoir combien d'innocents la gueule d'ange qui me servait de frère avait déjà tués ou torturés. Je pouvais presque voir ses yeux dorés dégoulinants de sadisme posé sur moi. Je frissonnai. Bientôt je ne le reverrai plus, ni lui ni aucun autre.
    Les autres Familles étaient également au premier rang. La famille Dolora avec leurs yeux vairons, habillés de vert et de bleu, Iris et Adina côte à côte, leur ressemblance me sauta aux yeux, j'allais également les quitter. Je ne verrais jamais Adina grandir ni se marier à son tour. J'espérais de tout cœur qu'elle pourrait choisir celui ou celle avec lequel elle passera le restant ses jours.
    Iris me fixa, l'air absent,  pourtant, j'aurais juré avoir vu un éclair de nostalgie passer sur son visage lutin.
    Les Razane, eux, ne passaient pas inaperçus, leur peau hâlée saupoudrée de cet éclat doré leur donnait cette beauté irréelle. Sofian avait les yeux baissés, j'aurais tant voulu voir une dernière fois ses yeux bleus, leur profondeur et leur lumière qui m'avaient tant fait rêver quand j'étais adolescente. Morgan, lui, semblait tourmenté, il regardait constamment Iris, qui fit comme si elle ne le voyait pas. Lorsque je croisai son regard noisette, quelque chose tressauta sur sa joue, tandis qu'il détourna les yeux, les éclats d'or de ses yeux s'assombrirent.
    Mais que se passait-il ? Pourquoi fuyaient-ils tous mon regard ?
    Ce n'était pas le cas de Lys, habillée comme si c'était elle la mariée et non moi, elle me fusilla du regard lorsque j'arrivai à sa hauteur, une haine indescriptible enfla dans l'azur de ses yeux. Elle serait tellement plus belle si elle n'avait pas constamment ce masque de méchanceté sur le visage.
    Je reportai mon attention devant moi, et je le vis.
    Ayaan avançait aux côtés de son père, je faillis défaillir tant j'étais impressionnée par leur assurance à tous deux, à leur visage semblant sculpté dans le granite, leurs yeux identiques, brillants de la même lueur conquérante. Une couronne noire incrustée de rubis trônait sur la tête de Melech, tandis que celle d'Ayaan n'était qu'un cercle noir gravé de volutes rougeoyantes, d'ombres écarlates. Nous avancions, la famille Eléazar et Malkam marchant l'une vers l'autre. Jamais en ces milliers d'années, nos deux familles s'étaient unies, c'était jusqu'alors interdit, on disait que l'union de nos deux Familles signifierait une nouvelle ère, la fin d'une Histoire et le début d'une autre. Le début de notre Histoire, le règne des Malkam et des Eléazar. Enfin bon... C'était l'interprétation qu'en faisaient Melech et mon père, ils venaient de briser des milliers d'années d'interdits.
    Ayaan ne semblait pas vouloir me quitter des yeux, et lorsque nous arrivâmes au même instant au milieu de la pièce, le silence se fit dans l'assemblée. Nos pères respectifs regagnèrent leur famille, tandis que nous montions ensemble les escaliers menant à l'estrade de verre, hauts d'au moins 10 mètres.
    Au sommet nous attendaient deux hommes et une femme.
    Les Anciens. Les anciens chefs des Familles. J'essayais de ne pas trop les dévisager, mais c'était impossible, c'était la première fois que je les voyais depuis des dizaines d'années.
    Ils avaient tous abdiqué à l'âge de 100 ans, mais évidemment, ils ne semblaient pas avoir plus de 60ans.
    La première me sourit avec hypocrisie, mais ne put cacher le dégout dans ses yeux bleu nuit, tandis qu'elle posa un regard doux sur son petit-fils qui me tenait par la main.
    Ravana Malkam, la mère de Melech, une femme détestable, qui avait haï ma grand-mère au premier regard, Maria Eléazar, qui avait dû succéder à sa mère qui était morte très jeune. Maria avait une vingtaine d'années quand elle avait pris la tête de notre famille, devant tenir tête à Ravana, une femme puissante et cruelle en fin de règne.
    Les deux autres hommes, Lance Dolora et Igor Razane avaient un air plus las, fatigué, comme s'ils en avaient trop vu, ils n'avaient pas l'air mauvais, mais dominé, dominé pendant des années par Ravana Malkam.
    Lorsqu'ils abdiquaient, on entendait plus parler des anciens chefs des Familles, on ne les voyait plus, ils n'étaient plus conviés à aucun évènement, sauf pour les mariages. Ils ne voyaient pas leurs petits-enfants, ils disparaissaient purement et simplement, mais je doutais que Melech veuille un jour finir ainsi, ce temps était révolu, j'en étais persuadée, à présent, les Malkam gouverneraient jusqu'à la mort, et il en serait de même pour les autres Familles. J'imaginais avec horreur mon frère régner sur notre famille pendant des années...
    Je repoussai la tristesse qui me saisit en notant l'absence de représentation de ma propre Famille. Maria Eléazar étant morte, sa mère également, personne ne pouvait nous représenter. Oh, mon père aurait pu le faire, mais c'était une punition, pour nous rappeler la honte qui s'était abattue sur notre famille après la trahison de Maria. Ma grand-mère qui, après sa mort, avait été accusée de pactiser avec les Souffleurs de Rêves. Malheureusement, elle n'était plus là pour prouver son innocence, et notre famille s'en était vue salie.
    C'était les anciens chefs des Familles qui allaient nous donner la bénédiction, cela se faisait ainsi depuis toujours. J'étais étonnée que Melech n'avait pas encore touché à ça...
    Les trois Anciens récitèrent les Perles des Temps, nos lois depuis des milliers d'années, qui avaient été bafouées par Melech Malkam. Je dus retenir le cri de rage qui résonnait en moi. Comment osaient-ils parler de respect de la vie, des libertés, de justice alors que tout cela venait de mourir ? Déjà que ces lois n'avaient jamais été véritablement respectées, aujourd'hui elles étaient enfreintes à la vue de tous.
    Je n'écoutais pas, je pensais à demain, à quoi ressemblerait ma vie En Bas ? N'était-ce pas plutôt une mort rapide qui m'attendait ? Qu'importe, je préférais mourir rapidement plutôt que de vivre une lente agonie entre ces murs.
    Les Anciens se mirent réciter en chœur, leur voix harmonieuse s'envolant vers le dôme peint d'une éternelle nuit étoilée et venaient s'enrouler autour de moi tel un serpent :
    -Que vos âmes s'unissent en ces lieux, que vos cœurs battent à l'unisson, que vos noms ne fassent qu'un, que vos désirs soient partagés, que la force, le courage et la droiture de vos illustres ancêtres coulant dans vos veines guident vos vies et vous emplissent. Jusqu'à ce que la mort vienne récupérer son dû, que vos couleurs chantent l'hymne des vivants et des morts qui ont un jour foulé la Terre.
    La voix envoutante de la mythique Ravana continua sa mélopée, ses cheveux noirs formant une brume ténébreuse autour de son corps maigre :
    -Ayaan Malkam, fils de Melech, enfant de la lignée légendaire de Maximilian, et Era Eléazar, fils d'Azel, enfant de la lignée dorée d'Alexander, vous êtes, à partir de cet instant, ambassadeur de la Tour d'Ivoire, mari et femme, portés par la loyauté sans faille des vôtres.
    Ils s'approchèrent, posèrent une main sur leur cœur et s'inclinèrent, nous nous retournâmes comme un seul homme, et je vis, ébahi, les milliers de personnes présentent en faire de même, un à un, je les vis s'incliner. Tous, sauf Melech et mon père, qui nous regardaient, fierté et férocité à peine dissimulées.
    Je me retournai vers Ayaan, qui me dévorait des yeux, aussi enthousiaste que nos pères. Il se pencha vers moi, et précautionneusement, posa une main sous ma mâchoire et m'embrassa. Ce ne fut pas le chaste baiser qu'il m'avait donné il y a quelques heures. Loin de là...
    Ses lèvres brulantes pressèrent les miennes, tandis que sa langue chercha la mienne. Je répondis à son baiser, galvanisée par tous ces gens à nos pieds. Je me rendis alors compte que tout ceci n'avait rien d'un mariage, mais c'était ni plus ni moins qu'un couronnement. Je n'étais plus Era Eléazar, à présent, j'étais Era Malkam, Princesse de la Tour d'Ivoire, et bientôt, Reine. Et j'étais dans les bras du descendant Malkam le plus légendaire depuis des milliers d'années.
    Ce baiser fit voler en éclat mes derniers doutes, Ayaan Malkam ne renoncerait jamais à moi. Ayaan mit fin à notre baiser et se retourna vers l'assemblée et les centaines de caméras tournées vers nous, l'évènement était retransmis partout dans la Tour d'Ivoire, le monde entier avait les yeux rivés sur moi, sur nous. Alors, me souvenant de la fille implacable que j'étais, je me retournai vers mon peuple, et leur servis le sourire le plus éblouissant que je n'avais jamais fait.

La Tour d'Ivoire - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant