Les yeux de feu

4.7K 391 27
                                    

« I lost you. But I found me. So I win. »

Auteur inconnu

Le lendemain, Gabriel me fit visiter la ville. Comme la veille, les habitants étaient joyeux, souriants, s'affairant à leurs occupations diverses. Gabriel ne cessait de me parler, de m'expliquer, de me raconter des anecdotes sur son peuple, sur les gens qu'il connaissait. Et pour la première fois, je me sentais chez moi, dans cette ville à moitié sur terre, moitié dans les arbres. Pourquoi n'avais-je pas eu la chance de naitre ici ? Au milieu de ces hommes et de ces femmes qui vivaient, certes simplement, mais non sans cette légèreté qui manquait tant aux miens ?

Les miens. Pouvais-je encore utiliser ces mots ? Pouvais-je encore me considérer comme une des leurs ? Après ce que j'avais vu dans les souterrains, ce qu'Abel et ses hommes avaient fait, ce que mon père, Melech et Ayaan avaient engendré... Non, je n'étais plus l'une des leurs, peut-être n'avais-je jamais fait partie de ce monde, en réalité...

J'étais dans cette ville depuis un jour, pourtant, je n'étais déjà plus la même, cet endroit, ces gens, m'avaient apporté plus que les 18 années passées dans la Tour.

-Dans quelques jours, Elina a prévu de t'emmener au Grand Marché des Nations, elle va sûrement bientôt t'en parler.

Gabriel souriait, les yeux fixés devant lui. Il sifflait en marchant, ses yeux pétillaient lorsqu'il me parlait des siens, de leur vie et de leur histoire.

Je fronçai les sourcils.

-Le Grand Marché des Nations ? Qu'est-ce donc ?

Son sourire s'élargit.

-Notre plus grande fierté. Il existe depuis plus de mille ans. (Il s'éclaircit la gorge et prit sa voix de conteur) Après une terrible guerre, une énième guerre, qui laissa nos peuples au plus bas, les Nations ont décidé, bien après, lorsque les mémoires se furent apaisées, de créer un marché commun. Un endroit neutre. Où, en temps de guerre comme en temps de paix, chaque Nation pouvait venir avec ses ressortissants et vendre librement leurs marchandises. C'est la Nation d'Émeraude qui a eu cette idée, et en collaboration avec celle de Saphir, elle a vu le jour. Le rêve était devenu réalité. Là-bas, la guerre n'a aucune prise, c'est un lieu resté inviolé depuis sa création. Tu verras, c'est magnifique, chaque Nation se côtoie, toutes les couleurs de peau, de cheveux, d'yeux. Tu croiseras des pierres précieuses et des gemmes provenant du monde entier, des boucles d'oreille en Diamant, Saphir, Tourmaline, Or qui te raconteront l'histoire de chaque peuple. Les seuls qui n'ont jamais été présents sont les Argents. (Il secoua la tête, l'incompréhension se reflétant sur ses traits.)

Mon cœur se mit à battre plus fort à l'idée d'y être. Je voulais voir, sentir, observer ces gens qui avaient vécu tellement de choses, des évènements et des vies si différentes des nôtres.

-Avec un grand plaisir. Mais où se situe ce marché ?

-Dans le sud de la Nation d'Emeraude, au bord de la Méditerranée.

-Et nous ? Où sommes-nous ?

Il parut surpris, puis s'esclaffa.

-Oh, excuse-moi... j'avais complètement oublié... tu sais que la Tour d'Ivoire se trouve au centre de l'Europe, sur le territoire de la nation d'Émeraude (je hochai la tête.) et bien, nous ne sommes pas loin, au cœur des forêts d'Europe centrale.

Europe. Allemagne. France. Italie. J'adorais entendre ces noms, ces pays depuis longtemps disparus, mais qui continuaient de vivre dans nos mémoires. En les disant à voix haute, on évitait qu'ils ne disparaissent complètement. En apprenant ces langues, ces noms aux enfants, on faisait vivre ce souvenir. Le souvenir d'un monde où les hommes vivaient encore ensemble, avant que les guerres ne ravagent pour de bon le cœur des hommes de ces époques maintenant révolues.

La Tour d'Ivoire - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant