Le Vide

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Jonathan

Il ne reste plus qu'une heure avant la nouvelle année, et c'est comme si la ville se mettait à danser sur le même air. Dans l'appartement en-dessous du mien, j'entends les basses d'une musique jouée à fond, à en faire trembler les murs de ma propre chambre. Je sens qu'ils dansent, se trémoussent, boivent à s'en tourner l'estomac, s'embrassent et s'oublient. Ils veulent fêter la dernière nuit avec tous les symboles qui l'accompagnent, pour accueillir la nouvelle année comme il se doit. Il vont faire le décompte, puis crier comme des fous. Il vont faire verser le champagne si ce n'est déjà fait, s'embrasser comme si c'était la première fois, et se promettre toutes les merveilles qu'ils ne parviendront pas à réaliser. Puis après avoir vomi très élégamment dans les toilettes, ils s'endormiront avec une odeur entêtante de bile, et se réveilleront avec des marteaux qui cognent contre les parois de leur crâne. Ils se diront que plus jamais, vraiment plus jamais, il ne boiront une gorgée de ce sorcier qu'est l'alcool. Et voilà un premier mensonge pour l'année qui commence à ravir.

J'ai froid, sur le balcon qui me donne une belle vue sur le toit des immeubles, des théâtres de mon quartier, et plus bas, sur les lumières multicolores d'une ville qui ne dort jamais. Je m'accroche à la rambarde et lève les yeux vers le ciel noir qui ne m'offre que quelques petites étoiles lumineuses. Et moi, qu'est-ce-que je me souhaite pour cette nouvelle année ? La santé, l'amour, et l'argent bien-sûr. Je pivote sur moi-même et jette un coup d'œil à ma suite bien trop spacieuse et luxueuse, qui fait la taille d'un loft. Et l'appartement ne finit pas là, il y a encore le grand salon trop froid, une autre salle de bain que je n'utilise presque jamais, une salle-à-manger dans laquelle je ne veux inviter personne, un bureau qui ne sert que pour la décoration, et un petit jacuzzi pour frimer.

L'argent, j'ai.

Je me retourne à nouveau vers la vue de la ville qui gèle dans le froid polaire de l'hiver. Je resserre mon gilet autour de ma taille en m'approchant un peu plus du bord. Je contemple la rue, le trottoir sur lequel je m'écraserais si je me pousse un peu plus... je basculerais et... je m'écraserais. Je scrute le trottoir, certain que cela serait la meilleure solution pour faire cesser la douleur.

La santé, je ne l'ai pas.

L'ais-je déjà eu un jour ? Aussi loin que mes souvenirs remontent, je crois avoir toujours été un fou qui regarde la mort comme une amante. Et avoir déjà effleuré ses lèvres soyeuses ne m'a pas suffit. Je veux l'embrasser à pleine bouche, jusqu'à ce qu'elle m'aspire et qu'il ne reste plus rien de la poussière que je suis.

Des bras soudain s'enroulent autour de moi, des lèvres se déposent au creux de mon cou. On me retourne, et on m'embrasse. D'abord doucement, puis plus fougueusement. Je me détache de lui et le regarde avec plus de sensualité que de surprise.

- Tu veux fêter la dernière nuit, c'est ça ?

Il hoche la tête, souriant.

- Et toi, tu veux encore te jeter du balcon ?

- Il y a des choses qui ne changent pas.

Et je l'embrasse, les mains sur ses deux joues. Je le fais reculer jusqu'à ce que ses jambes touchent le lit. Il bascule sur le matelas et m'observe avec tant de désir dans ses yeux sombres, que ce qui l'anime me touche également. Je lui enlève ses lunettes, défait son chignon, et enfonce mes mains dans ses boucles noires alors que mes lèvres s'écrasent sur les siennes. Je déboutonne sa chemise et l'en débarrasse rapidement. Ma langue valse avec la sienne, mes mains sont des plumes qui volettent sur son cou, ses bras, son torse. Elles s'aventurent sur les territoires de son corps qui se tend de plaisir. Je lui enlève son jean tendis que ma bouche goûte sa peau. Mes lèvres descendent plus bas, sur son cou, puis sur ses tétons que je mordille. Il gémit, et je sens son excitation quand je plonge ma main sous son boxer. Lentement, avec douceur, je dessine des va-et-vient sur son sexe durcit tandis que je continue à jouer avec ses tétons gonflés. Quand, dans un racle sonore, il jouit dans ma main, celui-ci me retourne brutalement sur le dos et se met en califourchon sur moi. Il me retire mes vêtements un à un, avec dans le regard suave cette pulsion qui nous emporte, nous fait décoller vers ce paradis éphémère. Il m'embrasse, puis sa langue dessine des arabesques délicieuses sur mon corps, avant de s'arrêter sur mon intimité. Mon sexe pénètre dans l'antre chaud de sa bouche, et je me laisse faire. Je porte mon attention vers le balcon et, d'un regard plus las que je ne l'aurais voulu, contemple la nuit. Je me redresse et tombe sur les éclairs que me lance son regard noir. Il se lève et commence à s'habiller, et je le regarde, non étonné par ce virement de comportement. Je viens me coller contre son dos et enrouler mes bras autour de lui, mais il me rejette violemment. Il a beau être plus petit que moi, sa force me surprend toujours.

- Tu penses à quelqu'un d'autre, c'est ça ? Tu pourrais au moins faire semblant de prendre plaisir à ce que je te fais !

Il lève le poing, vif d'une colère habituelle. Je ne lui laisse pas le temps de me frapper et le pousse contre le mur en prenant ses poignets entre les mains. Je ressers mes mains trop forts sur ses poignets fins, mais au lieu de prendre peur pour le mal que je lui fais, il s'excite dans un plaisir pervers. Ses lèvres cherchent les miennes, les trouvent, et pour cette dernière nuit, nous faisons l'amour. Encore et encore, je rentre en lui et il rentre en moi, éperdus par cette volupté qui nous fait perdre l'esprit.

00:00.

Je me souhaite la bonne année.

Et tous les meilleurs vœux.

Je le regarde somnoler et se blottir contre moi.

L'amour, je ne l'ai pas.

Malgré sa chaleur corporelle, je frissonne. J'essaie d'oublier le froid qui me submerge en le prenant dans mes bras, avant de me souvenir que je n'ai pas fermé la porte-vitre qui mène au balcon. Je saute sur mes deux pieds, et au lieu de la refermer, je m'aventure dehors. Je pose un pied, puis un autre sur le sol froid, avant de me pencher sur le vide. Oui, je n'aurais qu'à me lancer.

Et pour cette nouvelle année, j'en finirais pour de bon.



Le Jeu [B&B]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant