Comment ?

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Jonathan

J'ai l'impression d'être en suspension, retenu captif quelque part dans un morceau de paradis, bercé par le bruit des vagues, de ses rires et de sa voix. Si je ne devais pas m'absenter pour toutes sortes de raisons, je me serais cloisonné dans cette maison avec lui. Jace continue de se rétablir après l'impressionnante bagarre qu'il lui a valu une côte et une cheville cassées, ainsi que de nombreux bleus parsemés ça et là sur son corps hâlé. Il ne peut jouer que certaines scènes où Josh ne bouge pas beaucoup, ou rester se reposer à la maison. En l'absence de sport que lui a préconisé le médecin et à la proximité du placard à goûter, Jace prend du poids. Je m'en moque même si ça ne le fait pas rire. Il me foudroie avec ses yeux bleus avant de me sourire. En ces jours qui s'écoulent trop vite, j'en apprend toujours plus sur lui. Je ne savais pas... qu'un tel bonheur était possible. Je n'en imaginais même pas la couleur et la forme. Je n'aurais pas cru que c'était si bon.

Si ce n'est pas pour le travail ou pour autre chose, c'est pour passer du temps avec Laury que je m'éclipse de la maison. On prend l'habitude de se rejoindre presque tous les jours à une certaine heure de l'après-midi, et nous parlons de tout et de rien. Parfois de souvenirs, parfois de l'avenir. Souvent de banalités qui semblent être ennuyantes, mais qui sont en réalité toutes les petites conversations normales que nous avons manquées. Je me surprends à être heureux lorsque j'aperçois son sourire, bien qu'un point d'amertume et des lignes de regrets s'inscrivent dans mon cœur. Ma sœur... je l'ai oublié. Et cette vérité est encore douloureuse, bien plus quand elle rit et me parle comme si de rien n'était. C'est pour cela que je lui ai proposé de voir Jace au détour d'un dîner. Comment pourrais-je supporter que les deux seules personnes pour qui je pourrais tout donner s'affrontent sans relâche ? Il faut qu'ils apprennent à s'apprivoiser avant que je ne révèle tout à Jace.

Et les jours défilent comme si je voyais les meilleures séquences du film qu'est ma vie. J'aimerais pouvoir supplier le scénariste de poursuivre ces instants. Je me mettrais à genoux face au réalisateur pour qu'il n'ajoute rien d'autre à cette sérénité douce qui me fait flotter dans une sorte d'idylle.

Je m'inclinerais si il le fallait, jusqu'à mettre mon front au sol.

Mais il faut croire que ça n'aurait pas suffi.

Je me sens si bête, parfois. Incapable de continuer, de respirer comme le font tous les autres, de me tenir debout. Je ne dors plus. Je ne mange plus. Les mauvais rêves me traquent comme des bêtes assoiffées de ma raison et je sombre doucement dans la familière mélancolie qu'elle m'offre. Depuis peu, je commence à éviter les miroirs.

Un.

Au plein milieu d'un tournage, l'envie me prend d'envoyer valser les caméras et de me replier pour me noyer dans le chagrin.

Deux.

J'étouffe des souvenirs sanglants, de cette image de mes mains qui la poussent, des ailes aux arabesques rouges qui se tracent sous elle, et de ses yeux exorbités par la surprise et l'effroi.

Trois.

J'en suis déjà à trois, priant tous les Dieux pour ne pas arriver à cinq.

Après les cinq petits pas, je suis fichu.

Alors je me motive avec les rires, les caresses de Jace, et les petits cachets blancs qui me font dériver. Je le regarde. Et c'est comme si elle n'existait pas.

La dépression.

Celle qui rôde toujours, arrive sans prévenir et me tend sa main pour une nouvelle danse. J'ai enfin trouvé la personne qui ferait le poids, qui a d'autant plus de pouvoir. Tant qu'il est là, je peux résister face à elle. Je suis à l'abri de ses murmures qui me font me mépriser à un point que je ne supporte plus de voir la lumière du jour une seconde de plus.

Tant qu'il est là, je...

Vis pour toi.

Vivre pour moi.

J'ai beau chercher, je n'arrive pas à comprendre comment. Ce truc qui cloche, cette chose perturbante que les scénaristes sadiques de ma vie ont décidé d'ajouter à l'histoire, ce n'est pas seulement le début d'une nouvelle phase de dépression.

Mais cette seule phrase.

Vivre pour moi, pour ma seule et ignoble personne, ce n'est pas pensable. C'est déjà un comble que je vive avec l'homme que j'aime et que je puisse voir ma sœur sans qu'elle veuille m'arracher les yeux, je ne vais pas demander la Lune. Quoique, leur présence à mes côtés ont plus de valeur qu'un astre de lumière. Plus j'y réfléchis, et plus je crois que mon amour pour lui est trop lourd à porter. Il ne doit pas apprécier toute l'attention que je lui porte alors que ça ne fait pas si longtemps que nous nous connaissons. Suis-je pesant ? Cette idée me terrifie. Je lui ai dis que si il partait, peut-être que je... je ne survivrai pas. Cette nouvelle doit être trop effrayante. Ça doit être pour cela qu'il veut que je me débrouille, que je vive pour moi.

Mais... Jace n'est pas comme ça.

Et ses yeux, cette larme... il était amplement sérieux. Un jour, alors que je lui avait parlé de l'addiction qu'était Sang Min pour moi, il m'a dit je devrais juste... essayer de tomber amoureux d'une meilleure personne, de la bonne façon. « Ne donne pas toute ta personne à l'autre, reste indépendant et libre. Vis en aimant, mais ne te cache pas derrière ton amour. Essaie de le faire t'élever, pas t'écraser. » Il me conseillait déjà de vivre pour moi avant même que je ne tombe amoureux de lui.

Je regarde la ligne qui sépare un ciel submergé par la nuit et une mer d'encre dans laquelle je plonge deux pieds avant de me raviser. Elle est glaciale.

J'ai encore faussé compagnie à Jace, l'œil fixe sur le plafond, incapable de dormir, avec cette phrase susurrée, chantée, hurlée dans mon crâne. Vis pour toi. Je suis allé sur la plage en pleine nuit comme je le fais trop souvent en ce moment, pour penser et ne trouver aucune réponse à des questions floues.

Vivre pour moi.

Mais comment est-ce possible ? 

Le Jeu [B&B]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant