Boîte à déclarations

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Jace

Les poumons broyés par le manque d'air, la poitrine en feu, la sueur dégoulinant des pores de ma peau frémissante, je pousse difficilement la porte d'entrée et projette de me jeter dans la douche pour y rester des heures. Mais un bruit de coup de ciseaux, de pliage et de feutre sur du carton m'arrête dans la ma lancée. Quelques pas vers le salon, et je découvre un bordel sans nom, un chaos se composant de papier colorés, feutres, cartons, morceaux de journaux, de glu et de ciseaux. Assit sur le tapis qui n'en est plus un, Jonathan a poussé la table basse et les fauteuils pour s'inventer une véritable bulle de création. Il porte un ample tee-shirt blanc sali de peinture que je reconnaîtrais entre milles, et un vieux jean trop grand pour lui. Mes vêtements. Les sourcils légèrement froncés, les lèvres plissées, le visage tordue sous la concentration, il s'attelle à décorer une boite en carton de taille moyenne, avec une légère fente au-dessus, comme pour y laisser entrer des lettres.

- Qu'est-ce-que tu fais ?

Il se tourne un bref instant, laisse ses yeux s'attarder sur mon torse dévêtu avant de poursuivre sa tâche, parfaitement silencieux. Ce n'est que maintenant que je me rends compte qu'il n'a pas dit un mot depuis qu'on est revenu du studio de tournage. En rentrant au chalet, je suis allé directement courir dans la forêt et autour du lac, afin de reprendre contenance après que Laury Harper ait failli avoir ma peau. Je suis acteur, et ce depuis tellement d'années. Je peux faire semblant de ne pas avoir peur, d'être insatiable de défi et d'arrogance.

Mais je dois avouer.

Les yeux de cette folle dingue  m'ont fichus la trouille.

Pendant que ses mains s'occupaient à m'étrangler, son regard me jetait un sort, une malédiction, et me déchargeait d'une telle rage que j'ai cru me pisser dessus. Si Jonathan n'avait pas été là... je ne sais même pas si j'aurais tenu le coup. Tant de colère, de force et de désespoir dans un si petit corps... J'ai eu l'impression d'être giflé par tant de surprise venant d'une femme qui joue merveilleusement bien le jeu des faux-semblants.

J'ai eu besoin de me vider le cœur encore trop plein de choc et de peur, sans remarquer l'air maussade et le silence curieux d'un Jonathan toujours bavard et joyeux. Je me laisse tomber sur l'un des canapés et le couve d'un regard inquiet.

- Qu'est-ce-qui t'arrive ?

Pas de réponse.

Je glisse sur le tapis, entre des bandes dessinées et des feutres de couleurs. Mes lèvres retrouvent le creux de son cou, et je le sens frissonner. Ses épaules se décontractent, et ses soupirs viennent fissurer son silence.

- Qu'est-ce-qu'il y a ?

Il se tourne vivement, et le flot de questions qui sort de sa bouche me noie.

- Il se passe quoi entre Laury et toi ? Pourquoi elle te menace ? Pourquoi tu m'as empêché d'intervenir ? Et tu as intérêt à me répondre, Jace Alexander.

Il lève un index menaçant sur moi et me gronde de ses yeux ténébreux. Ses cheveux sont emmêlés et retombent sur son front, son corps fin et musclé nage dans mes vêtements, et il a un bout de papier collé sur la joue gauche.

Il est craquant. Trop mignon pour pouvoir le prendre au sérieux. Je souris et ça l'agace. Je lève les deux mains en avant, signe de capitulation. Le pouce de ma main droite se lève quand les autre doigts se referment.

- Un : Il se passe rien entre elle et moi... du moins je crois, c'est pas distinct. Après t'avoir dit de monter dans la cabane, je suis allé chercher des couvertures au chalet et je l'ai vu. Elle n'avait pas bougé. Elle m'a dit... que je n'étais qu'une échappatoire pour toi, que j'étais éphémère. Qu'elle était prête à te faire du mal pour que tu ne regardes qu'elle. Ça m'a rendu fou. Il fallait que j'agisse.

- Tu veux attirer son attention sur toi ?

 Ses sourcils se froncent à présent à l'extrême. Il respire un peu plus fort quand j'acquiesce.

- Et c'est pour ça que tu me répétais de te regarder ? Pour la faire enrager ?

- Oui.

Et non.

Je ne réagis pas, et il me foudroie du regard. Je lève l'index.

- Deux : Tout ce que veux Laury Harper, c'est que tu lui prêtes un peu de ton attention. Mais elle voit que tu es occupé ailleurs : moi. Je suis son rival, dis-je avec un sourire qui fait découvrir toutes mes dents. Alors elle me menace.

Mais ça ne le fait pas sourire.

- Trois, j'ajoute en levant mon
majeur, je ne voulais pas que tu interviennes parce que c'est un truc entre elle et m-

- Bordel Jace !

Je recule, stupéfait par cette explosion de colère. Jonathan ne jure presque jamais, et je le dévisage avec surprise. Sa main gauche froisse un morceau de papier, ses yeux me jettent leur fureur en plein visage. J'ai dû rater un épisode. Il ouvre la bouche, la referme, se retient de me hurler dessus. Je recule un peu. Il ferme les yeux, prend et recrache une longue bouffée d'air, avant de rouvrir ses magnifiques yeux sur moi.

- C'est sans doute pour cela que je suis tombé amoureux de toi... alors je ne peux pas te blâmer. Mais tu vois, Jace, je ne peux pas me permettre de perdre le seul amour que je n'ai jamais eu dans ma vie. Tu as vu le sort de mes détectives ? Et ton cou... Laury Harper est dangereuse, je ne veux pas que tu t'immisces dans son jeu. Contente-toi de rester là où je peux te voir, cela m'aidera plus que si tu tentes de la défier directement. 

Ses doigts tracent des contes sur ma joue avant d'effleurer les marques de strangulation.  L'une de ses mains se lève jusqu'à mon front pour m'offrir une caresse et... une pichenette.

- Ne recommence pas, insiste t-il avec sérieux.

Je hoche la tête, ne sachant pas si je serais capable de rester à l'écart. Il louche sur son travail avec de grands yeux étonnés, comme si il se rendait compte de tout le désordre engendré.

- Tu fais quoi au juste ?

Son sourire est un poème. Je peux lire les vers les plus beaux de l'histoire sur ses lèvres.

- Une Boite à déclarations, avoue t-il avec fierté.

- Une... quoi ?

- Je t'avais dit dans la cabane que je te ferais un milliard de déclarations pour que tu tombes pour moi. Il faut que je m'active. D'ailleurs, j'aurais besoin de tes talents pour m'aider à la décorer.

Il trépigne comme un enfant et se met à découper un cœur sur une page d'un magazine. Qui aurait cru que cet homme bizarre sur le pas de ma porte il y a des semaines se révèle si... si quoi ? Je ne trouve pas le mot. Dans ce salon, au milieu de ce petit désastre, à côté de lui.

Je me sens chez moi.

- Jace ?

- Oui ?

Les yeux qui se posent sur moi veulent me séduire, sinon comment expliquer la folie qui s'empare de mon organe vital ?

- Tu n'as pas à me demander de te regarder pour que je le fasse. C'est quelque chose que je fais naturellement depuis la première où j'ai posé mes yeux sur toi, dans cette forêt.


Le Jeu [B&B]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant