Fleur Attractive

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Jonathan

Je n'ai jamais eu aussi honte de toute ma vie. J'ai déjà ressenti une douleur effroyable au cœur, comme si l'on m'avait tiré une balle. J'ai déjà subit des douleurs corporelles à en hurler. Mais une honte aussi énorme, jamais. Depuis mon enfance, j'ai tout fait pour paraître impassible. J'ai tout fait pour avoir un certain contrôle sur mes expressions, quand diverses émotions explosent en moi. Je suis un masque et je vends des sourires. Même lorsque je suis mal à l'aise ou dans une curieuse situation, je m'arrange pour sourire et faire oublier le malaise.

Ça avait toujours marché.

Je n'avais pas constaté les limites que pouvaient franchir mes décisions, et la bizarrerie de mon esprit déformé. Avant même que je ne m'en aperçoive, je mentais à Min en lui prétextant que je désirais me retrouver seul avec moi-même. Occupé, il n'a pas proposé de rester avec moi, ce qui m'arrangeait. Mais il ne s'est pas gêné pour me jeter un regard noir de suspicions. À la minute même où il s'en est allé, je me suis retrouvé dans un magasin de sport, à acheter des patins. Et avant que je ne prenne pleinement conscience de ma stupidité, Jace Alexander me scrutait avec ses yeux qui ne me quittent plus depuis hier. J'aurais voulu m'évanouir dans l'air, disparaître dans un trou, être capable de magie pour partir d'un claquement de doigts. Mais son regard sur moi était la source de ma perte soudaine de locution. Avoir le souffle coupé, ce n'est pas qu'une simple expression. Il était là, à m'accuser de je-ne-sais-quoi, visiblement agacé, irrésistible. Il me regardait, et il attendait de moi que je... m'exprime.

Mais qu'est-ce-qu'il m'a pris ?

Que faisais-je, sur le seuil de sa porte, à lui demander si je pouvais patiner sur son lac ? Dieu... mais quel désir m'a ensorcelé à ce point pour que je me retrouve là ? Lui demander pour le mot, voir le bleu de ses yeux, lui parler, le connaître.... la liste était longue. Dans cette forêt blanche, j'avais vu une facette d'un Jace que peu connaisse. Sur les photographies volées, les pages de magazine, les films d'action dans lesquels il joue, ça n'a jamais été ce Jace là. Celui que j'ai aperçu était englué dans un désespoir collant que je connais bien. Il est vrai que je suis facilement attendri par les cœurs brisés, et je sais que ce n'est qu'une lubie passagère. Mais à cet instant, au bord du lac, j'espérais encore qu'il sorte de ce fichu chalet pour venir me voir, discuter et... je ne sais pas. Je suis Jonathan Ray, la star montante, celui que tout le monde veut. Ne désirait-il pas apprendre à me connaître ? Déceler dans mes yeux une curiosité dont il se serait languit, et dans mon sourire un charme qui l'aurait séduit ? Jace Alexander me faisait devenir narcissique. Et je patinais comme un demeuré qui a certifié que le patinage était sa passion, alors qu'il n'a mit des patins que deux fois dans sa vie. L'une lorsque j'étais enfant, l'autre pour un film. J'étais si mauvais qu'ils ont dû faire appel à un cascadeur.

Quand je me suis retrouvé les fesses sur la glace, je n'ai même pas eu le temps de rire. Qui a dit que le ridicule ne tuait pas ? Dans cette eau bien trop froide, je dérivais vers le fond sans réussir à me mouvoir. Mon corps gelé et figée ne me répondait pas.

Le temps d'une seconde, alors que je voyais la surface s'éloigner, j'ai cru avoir enfin attrapé ce que je voulais tant. J'allais mourir, engloutit par une eau glacée, si simplement que j'en aurais pleuré. Un instant, j'ai cru être soulagé, libéré du poids de mes fautes. J'ai cru enlacer la mort que j'attendais avec tant d'impatience, quand ce n'était que les bras d'un autre qui s'enroulaient autour de moi pour me tirer de là. De la mort glacée ou de cette étreinte chaude, je n'arrive pas encore à savoir laquelle me plaît le plus.

. . . . . . .

Quand j'ouvre les yeux, je suis entouré d'une épaisse couette et d'un grand drap. Dans ce cocon chaud, mon crâne me lance et mon corps me fait mal. J'ai l'impression d'avoir une bosse au front, mais mon état de léthargie me fait sans doute inventer tous les maux possibles. Sans parvenir à bouger, mes yeux circulent néanmoins dans un espace inconnu pour tomber directement sur Jace. Assis sur le canapé en face de celui qui me sert de lit, il regarde fixement une bouteille d'alcool. Penché en avant, les coudes appuyés sur ses jambes, je crois entendre ses pensées. Devrais-je la boire ? Devrais-je essayer d'arrêter, avant que je ne devienne vraiment dépendant ? Je n'ai qu'à prendre un verre, juste un verre. Après, je m'arrêterai. Il est plongé dans une méditation si profonde, partagé entre ses bonnes et mauvaises idées, qu'il ne me voit pas l'observer. Et j'en profite. Lui regarde la bouteille. Moi ses yeux. Ses cheveux relâchés qui tombent en boucles sur ses épaules, sa barbe d'une semaine le rendant plus séduisant que négligé, puis ses cernes. Et je l'aperçois à nouveau, ce Jace.

Le Jeu [B&B]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant