Elle

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Jonathan

Du revers de ma main, j'essuie la sueur qui perle mon front. Je ne mets pas longtemps à rejoindre un luxueux et confortable sofa couleur crème, positionné près d'un petit bar. Ma tête bascule, je me laisse un temps de repos, savourant la fraîcheur de ma chambre d'hôtel. J'appuie sur un bouton d'une télécommande qui était soigneusement posée sur l'une de mes tables de chevet, et augmente au maximum l'intensité de la climatisation. Soupirant d'aise, je m'enfonce dans le sofa qui finira bientôt par m'avaler. Je lutte contre la fatigue qui me précipite vers un sommeil de plomb, mais ne peux empêcher mes paupières de se fermer. Hier soir, je n'ai pas eu le temps de dormir, même une petite heure. J'ai passé une nuit blanche, lumineuse, entre les bras de Jace. Après avoir nettoyé la cuisine du sucre-glace que Jace a fait exploser, nous avons dévoré la tarte, avant de nous dévorer mutuellement.

Nous avons fait l'amour, encore et encore, si bien que mon corps épuisé ne demande plus rien du sien... pour le moment. Dans l'avion qui nous a mené dans les régions du sud, Jace, complètement excité par le voyage, m'a tenu en éveil en me parlant de ses voyages, de l'Alabama, de la chaleur de cette région, de la piscine de notre hôtel... Si je n'aimais pas autant l'écouter parler et le voir s'extasier de tout et n'importe quoi, je lui aurais déjà faussé compagnie pour rejoindre Morphée.

Bien-sûr, nos chambres sont séparées, et je profite de ce répit avant que je ne cède au désir de le rejoindre. Je fourre ma main dans la poche de mon jean et en ressors mon portable, petit engin électronique que je n'ai plus osé ouvrir depuis son message. Je lis ses mots une nouvelle fois, hypnotisé par l'écran pixelisé.

Que me veut-il ?

Voilà la question que je me pose. Pas de : Se porte t-il bien après toutes ces années ? Que fait-il ? Où est-il ?  J'hésite une bonne centaine fois, joue avec mon portable qui finit par tomber sur l'épais tapis recouvrant presque tout le sol parqué. J'essaie de me remémorer son visage, ses yeux qui n'ont jamais dû se poser plus de cinq minutes d'affilées sur moi. Mon père est une absence, une chaleur inexistante, une marque de tendresse manquée. Il n'est même pas comparable au vent, que je peux sentir sans le voir. Je ne ressens aucune bonté, ni aucune haine envers celui qui ne m'a pas offert une parcelle d'espoir. Un fragment d'amour. Je n'ai aucune attente, aucune envie de l'appeler, de le voir, de le prendre dans mes bras et de passer du temps avec lui. Je préfère la compagnie de la solitude, sans pour autant le détester ou le mépriser. Ce n'est qu'un homme dans une foule, sans visage ni identité, qui passe à côté de moi sans que je le voie, sans qu'il ne me salue.

Mais si je ne sais pratiquement rien de lui, je sais qu'en tant qu'homme d'affaires ayant goûté la réussite, il peut se montrer très insistant. Vaut mieux en finir tout de suite.

Je compose le numéro.

Porte le téléphone à mon oreille.

Une, deux trois secondes et il décroche.

- Comment t'es-tu procuré mon numéro privé ?

- Comment vas-tu ?

Une voix grave, rauque, mais qui se veut douce. Je ne me rappelle pas qu'il ait eu un tel timbre de voix, avant. Du reste, il n'y a pas beaucoup de choses que je me souvienne de lui.

Il ne répond pas à ma question. Je ne réponds pas à la sienne.

- Comment vas-tu ? répète t-il patiemment.

- Bien. Pourquoi m'appelles-tu ?

Il soupire comme si il essayait d'extérioriser ses soucis et sa fatigue. Ses regrets et ses remords. L'homme qui a décroché n'est pas mon père. Il ne peut pas l'être.

Le Jeu [B&B]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant