Néons blancs

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Jonathan

J'aimerais me dire que tout ça n'est qu'un morceau du passé. Une miette que j'avalerais et m'empresserais de recracher une fois que Jace démarrera sa voiture. Mais je me sens trembler, blêmir et étouffer dans cette maison que j'aurais voulu détruire en même temps que mes souvenirs. Je lève les yeux sur la peinture jaune qui colore les murs d'un cauchemar qui s'étale sous mes yeux. Je retourne des années en arrière, dans une histoire que j'aurais aimé ne jamais avoir vécu. Et ce voyage dans le passé m'étourdit assez pour que je prenne place sur le premier fauteuil qui se présente à moi.

Je pensais me retrouver assis à une grande table circulaire, où l'on ferait un débriefing avec les différents acteurs. Ils nous auraient présenté leur personnage, la manière dont ils pensaient le jouer, et la lecture de quelques dialogues déjà ficelés. Tous les réalisateurs ne font pas de meeting, aussi me réjouissais-je presque de rencontrer mes futurs collègues et de créer une certaine complicité avant de sortir le grand jeu. Je nous voyais siroter un café devant scripts, fiches et prises de notes, dans une ambiance feutrée et sérieuse, assis à côté de Jace que j'aurais adoré voir vêtir son rôle de professionnel.

Pourtant, qu'est-ce-que c'est que cela ?

Une soirée comme une autre, des buffets dressés ça et là, de la musique plein les oreilles. Certains ont l'air tout aussi gênés que nous et ne savent pas où se mettre, d'autres se lâchent et dansent dans le salon, boivent un verre de trop, discutent et rigolent dans un brouhaha qui aurait pu me paraître chaleureux si ça avait été dans une autre maison. Il n'y a pas que des acteurs, mais des régisseurs, des cameramans, maquilleuses et d'autres, car j'entends un vocabulaire technique sur le cadrage, le son, la photographie... Dans ce monde de cinéma dans lequel je me sens d'habitude si bien, j'ai envie de vomir. Ces murs, ces pièces, cet escalier qui monte à des chambres connues, cet enfer. Je frissonne, je me retiens, je souris.

Respire, et avance.

Jace me regarde, inquiet.

- Tu as l'air d'avoir bu du lait périmé.

- C'est peu être le surplus de glace à la banane que mon corps ne supporte pas.

Il fait un petit sourire, un oasis dans cet abîme.

- Prendre un peu l'air me fera du bien.

Je me lève, chancelle un peu, puis me précipite vers la petite terrasse en lui assurant qu'il peut rester ici, que je reviendrai bien assez vite. Je bouscule un costumier, une scénographe et quelques assistants, avant d'ouvrir la porte-vitre et d'atterrir sur la terrasse éclairée par des guirlandes multicolores accrochées aux arbres qui encerclent le jardin.

Des guirlandes...

Avant, il n'y avait que des néons blancs contre la façade de la maison, le fond du jardin était engloutit par les ombres quand le soleil se couchait et je n'osais pas m'y aventurer. Je me souviens... avoir souhaité des guirlandes, comme on en voit sur les sapins à Noël. De belles guirlandes éblouissantes qui illumineraient le jardin de ses couleurs variées. J'aurais eu moins peur, et j'aurais osé m'y égarer, y flâner en échappant à cette maison, à ses habitants. L'ais-je dit à quelqu'un ? J'ai l'impression de voir un souhait se réaliser, quand je regarde ces guirlandes comme un enfant à qui l'on aurait enlevé toutes les couleurs et les fantaisies de l'insouciance.

Tout était cruellement gris.

J'essaie de respirer, de penser à un souvenir plus beau, aussi coloré que les lumières artificielles qui étincellent dans l'obscurité de la nuit. J'aurais pensé à mon premier succès, à un prix que j'ai reçu pour le meilleur acteur, à un moment passé avec Min, mais je ne vois qu'un regard bleu. Un petit sourire. Une vue étoilée. Je ne dirais pas que je me sens mieux, tout ces mauvais souvenirs flottent autour de moi et m'oppressent comme si je me retrouvais enserré dans une boite minuscule. Mais ses yeux me donnent un souffle, et son petit sourire un autre souffle. Un souffle pour chaque souvenir où il apparaît, et je crois que je pourrais tenir une heure.

Le Jeu [B&B]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant