La valse des sentiments

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Jonathan

J'ai mal quelque part. Une douleur impitoyable qui pilonne mon dos comme si j'avais reçu des coups de cravache sur la peau et qu'on avait cogné, cogné, cogné. Je souffre... mais mon cœur trop calme a l'air de me dire : « C'est bon, j'ai l'habitude maintenant ».

J'ai mal... et étrangement, je suis serein. Je crois sentir une brise marine qui me berce et m'apaise en me soufflant que tout va bien, à présent. Il y a du sable chaud dans mes mains joueuses qui s'amusent dans les grains blancs, le son limpide des vagues, une présence à quelques centimètres de moi.

- Pardon.

Et c'est comme si je m'éveillais. Une petite fille me fixe avec ses yeux bleus-gris trop grand pour son visage minuscule et joufflu. Elle fronce les sourcils, et je crois qu'elle est en colère, mais je comprends vite qu'elle essaie de retenir des larmes qui font déjà étinceler son regard trop affligé pour une enfant de cet âge. Et je n'ai pas besoin d'explication, de plus de temps pour comprendre qu'elle sait déjà tout, et qu'elle s'apprête à pleurer pour moi.

Elle se met debout quand je reste assis, et me prend dans ses bras fragiles qui se resserrent autour mon cou. J'essaie de ne pas hurler et la repousser, parce qu'une douleur accrue me lance également à cet endroit. Elle se détache subitement, écarte un peu les jambes, place ses mains sur ses hanches, et lève un peu le menton comme un petit chef autoritaire et attendrissant.

- Je vais aller voir la po-police ! Et elle va aller cla-clamecer en prison cette vieille pot !

Je ne peux pas retenir le rire qui secoue douloureusement mon corps. Elle finit par sourire, comme fière d'avoir provoqué mon hilarité, avant de reprendre le plus grand sérieux.

- Tu dis trop de grossièretés.

- Et toi tu pa-parles comme un vieux. T'as que 10 ans !

- Et toi 8 !

Elle compte sur ses doigts en levant les yeux aux ciel.

- Oui b-bin ça fait que deux ans d'écart ! Je suis au-aussi grande que t-toi ! Et p-puis c'est pas co-comme si ça dérangeait quelqu'un, ma-maman ne m'a pas parlé de-depuis une semaine.

Et elle fronce encore les sourcils. Regarde au loin, un point au-dessus de mon épaule, déjà trop fière pour ne pas montrer sa peine. Elle attend quelques secondes pour ravaler ses larmes. Je prends conscience que je me sens bien uniquement grâce à elle.

- Je suis sé-sérieuse. Je vais le di-dire à quelqu'un.

- Demain. Si tout ça recommence demain, alors promis tu pourras aller voir la police.

Je lui mens. Elle le sait.

- Pardon, répète t-elle.

- Pourquoi ?

- Je p-peux pas t'aider.

- Bien-sûr que si.

Elle ouvre les yeux, surprise, et attend que je m'explique. Je lui souris sans avoir de mal à le faire. J'aimerais lui offrir tous mes sourires et tout ce qu'il me reste d'espoir. Je souhaiterais partir avec elle, dans un lieu caché où les adultes ne seraient pas si bêtes. Et j'apprendrais à construire avec elle une vie de bonheur et de quiétude que j'espère depuis toujours. Je lui raconterai des histoires faîtes de choses plus fantastiques les unes que les autres, et je la ferais rire jusqu'à ce que ne soit plus que la seule musique que je puisse écouter.

- Tu n'as qu'à rester à côté de moi.

Elle bat des cils, reste immobile face à moi. Et je perçois dans ses yeux une chose trop lourde à porter pour elle comme pour moi. Une tristesse comme une constellation d'étoiles bleutées qui flamboient dans un ciel trop sombre, une souffrance comme un glaive suspendu au-dessus de nos tête par un fil invisible, prêt à être tranché à tout moment. Je ne sais pas... ce qui est le plus difficile, des blessures que je dois porter sur le dos, ou des blessures qu'on doit porter dans le cœur.

Le Jeu [B&B]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant