Perdant

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Jonathan

Je suis entré dans un western, assistant en direct à un puissant duel de regards. Ils sont là, à tenir des flingues imaginaires, tendus et pointés l'un sur l'autre. J'ai complètement disparu, dans ce Farwest brûlant et aride où la tension est une flèche lancée vers le ciel. Et alors qu'ils se toisent d'un air mauvais comme deux cow-boys prêts à tirer, la flèche ne cesse de monter. Quand subitement, les deux se mettent à sourire, presque à rire, je crois m'être trompé... avant de comprendre bien assez vite que leur sourire sans joie, leur rire bizarre, ne sont sont que cynisme et mépris.

- Alors, c'était lui ? souffle Jace, les yeux toujours sur mon manager.

Sa mâchoire se contracte, ses mains sont comme un étau autour du pot de glace qui menace de vomir son contenu givré et sucré sur son jean.

- Ça fait longtemps Sang Min... ou plutôt... Enfoiré-Manipulateur-Pédophile. Ça te va si j'abrège en EMP ?

Le sourire de Min s'agrandit, mais ça n'a rien à voir avec une étincelle de joie.

- Enfoiré-Manipulateur je veux bien mais pédophile ? Sérieux ?

- J'avais 16 ans et toi 26 connard. Si je t'avais dis oui, tu m'aurais déjà baisé.

Silence. Partout. Plus aucun bruit. Mes pensées folles cessent de courir, ma respiration se coupe, le sourire de Min se fige, et même mon cœur semble s'être arrêté.

Silence total.

Surprise magistrale.

Et tout reprend.

- QUOI ? je m'écrie.

Tourné vers Min qui ne voit que Jace, je le regarde avec un étonnement non dissimulé. Mes oreilles bourdonnent. Ce n'est pas le fait que Jace n'avait que 16 ans qui me choque, j'ai dû perdre ma virginité bien avant. Mais c'est parce qu'il y a un lien entre cet homme obscur dont je ne peux me détacher... et le type qui est devenu mon seul véritable ami. Mes journées de libre, je les passe à regarder le monde tourner sans moi, à chercher l'attention de Min, à coucher à droite à gauche ou à faire des trucs débiles; pas à manger de la glace à la banane avec cet ami que je veux vraisemblablement voir dans mon lit. Jace a tord lorsqu'il assure qu'il ne sera qu'une conquête de plus pour moi. Il est plus.

Bien plus.

Le son du pot que Jace dépose sur la table-basse en verre me réveille.Et on en est encore là.

Dans ce salon.

Dans ce désert.

Avec toutes ses interrogations.

L'objet de mes désirs se lève, me donne un bout de papier que je prends avec hésitation, et m'adresse un regard dont je ne comprends encore pas le sens. Il donne l'impression de s'en aller, mais il se poste devant Min, à seulement quelques centimètres. Comme si il voulait l'embrasser. Ou lui tordre le cou. Ils se jaugent, se défient, se battent à leur façon dans un silence qui prend à la gorge. Jace se tient bien droit, le menton levé, le toisant avec une profonde haine et un dégoût qu'il ne cherche pas à cacher. J'aurais pensé trouver la même posture pour mon manager d'habitude si fier. Si je me cache derrière les sourires, c'est bien parce que je l'ai appris d'un maître en matière d'illusions. En colère, triste, angoissé ou effrayé, Min sourit toujours. Tout au plus, son visage reste de marbre, même durant les instants critiques. Aussi ais-je appris à déchiffrer un imperceptible mouvement de sourcils, un sourire trop grand, ou le pianotage de ses doigts lors d'un contrat avec un producteur important. Mais Jace n'est ni un riche producteur, ni un réalisateur populaire, et je vois les doigts de Min pianoter sur sa jambe. Léger tremblement, Min recule un peu, déglutit, sourit trop, pianote toujours plus. Si je ne l'avais pas tant observé, je n'aurais jamais su.

Le Jeu [B&B]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant