Le Jeu [B&B]

Pendaison de crémaillère

Jonathan

- Jonathan ! Qu'est-ce-que tu ne comprends pas dans : ne bouge pas ?

- Je sais que je suis un modèle irrésistible, dis-je en lui faisant un clin d'œil. Mais je suis frigorifié ici. Pourquoi tu n'as pas voulu peindre à la maison ?

- Je me sens plus inspiré ici. Bon... prenons une pause si tu veux.

Jace pousse un soupir et s'étire. Je me traîne jusqu'à son tableau avec curiosité afin de voir si sa peinture avance, mais il me colle une pichenette sur le front pour me signifier que je n'ai pas intérêt à aller plus loin. Il a relevé ses boucles sauvages en un petit chignon qui ne tient presque pas, et l'une de ses joues est maculée de peinture. Occupé à mélanger diverses couleurs, il ne remarque même pas que je bave devant lui. Le remarquera t-il seulement un jour ?

Cela fait une semaine que j'ai emménagé dans son chalet. Cela fait aussi une semaine que je me sens léger comme une plume, avec le cœur lourd comme un tonneau de brique. Jace est une tentation qui m'invite chaque jour, sans le savoir, à le goûter. Lorsqu'il prend sa douche et que j'entends tomber les gouttes d'eau comme un appel à le rejoindre... Lorsqu'il sort de la salle de bain, seulement vêtu d'une serviette enroulée autour de sa taille... me retenir est une épreuve insoutenable. Je me retrouve à... me toucher la nuit quand je suis seul dans ma chambre. Mais je ne peux plus assouvir les désirs de mon corps en passant la nuit avec un ou une inconnue. Je ne veux que lui. L'amour me fait perdre la tête, et cette sensation inédite m'emplit d'allégresse. Mille fois j'ai voulu poussé la porte de sa chambre pour lui faire l'amour, et mille fois la peur de son rejet est venue m'en dissuader. Car si Jace apprend que je ne le vois pas que comme un ami, et que se forme dans ses beaux yeux bleus le dégoût, je ne survivrai pas. Lorsqu'il m'a demandé si, faire du patin sur son lac était la véritable raison de ma venue à son chalet, je ne savais pas encore la réponse. Et maintenant que j'en suis certain, je sais que jamais je ne pourrais le lui avouer. Je suis condamné à le regarder de loin, sans pouvoir crier au monde mon amour pour chacune de ses parcelles. Si, par un miracle venu du ciel, Jace venait à m'accepter, il n'en serait pas de même pour les médias. 

Aujourd'hui, nous n'avons pas de tournage. Pour rire, j'ai proposé à Jace de se remettre à peindre et de me prendre pour modèle. Il m'a pris aux mots, et m'a embarqué dans sa petite cabane en ruine, remplit de ses tableaux abandonnés. Lorsque nous sommes arrivés, il a observé son intérieur dans le silence, comme si il voyait des souvenirs flotter autour de lui. J'ai compris que venir ici n'était pas quelque chose d'anodin pour lui, comme pour moi. C'est son espace, son secret. Et il m'y a invité. 

- Parle-moi d'elle.

Il lève ses yeux sur moi en abaissant son pinceau et sa palette. Le voit-il ? Mes mains qui tremblent sur mon thermos. L'entend t-il ? Les battements frénétiques qui proviennent de ma poitrine. Il sourit et me nargue sans le savoir. Ses yeux s'éclaircissent soudain, et il les détournent vers le ciel bleu sans nuages, dans lequel un soleil rieur brille de tout son éclat. Les rayons chauds s'étalent sur la neige glacée qui recouvre le sol et gèle les hauts sapins. Son sourire doux-amère fait fondre comme ces rayons, tous mes cauchemars et mes pensées noires. 

- Elle était spéciale, déclare t-il tout bas. C'était le genre de personne à se faire aimer de tous, avec un seul sourire.

Il baisse la tête, soudain gêné.

- Elle était drôle, avec toujours un mot pour faire rire les autres. Sa jovialité et son excentricité attiraient les autres comme des aimants. Et puis, elle adorait les musiques des années 70/80, surtout celles qui étaient françaises. C'est d'ailleurs incroyable, elle les chantait avec un accent parfait, comme si elle savait parler français alors que je ne l'ai jamais vu prendre de cours. Elle s'habillait comme une hippie... ou plutôt elle était une hippie.