Luminaires

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Jace

J'appuie sur l'interrupteur, et des centaines de couleurs s'allument en même temps, éclairant de leur lumière fluorescente le débarras abominable qu'est mon grenier. Ça fait bien des mois que je n'y ai plus remis les pieds, et je n'avais plus aucune raison d'y aller quand Mira a vidé ma réserve d'alcool, alors cachée dans les méandres de ce fouillis encombrant et impossible à mettre en ordre. Il y a là des tableaux crevés ou salis par une couche impressionnante de poussière, témoignant des années passées ici. Dans chaque objet quelconque et assez inutile pour le placer dans ce grenier, il y a un souvenir de nous, et il m'est alors impossible de les toucher. Les luminaires m'éblouissent, et je me rappelle le jour où elle les avait installé pour que cet endroit ait l'air moins effrayant. Quand je viens ici, je me souviens que ça fait tant d'années que je vis ici et si peu de temps qu'elle est partie.

Avec le son de la pluie qui tape contre les vitres, je me mets à fouiller dans une quête désespérée et pathétique qui me fait me replier dans la honte. Car si les pâtisseries, le dessin, ou un instant passé dans la cabane ne marchent pas, un verre calmerait la tempête qui se fait en moi. Mira n'a pas pu tout enlever, je m'étais préparé au pire. J'avais soigneusement caché deux ou trois bouteilles au plus profond de ce débarras.

J'ai une sensation étrange dans ma poitrine, une boule d'angoisse dans la gorge, et le cœur nerveux qui bat jusque dans mes oreilles. Je tente d'en comprendre la nature, mais les diverses émotions qui gonflent mon cœur sont aussi bordéliques que ce chantier. Au fur et à mesure de ma recherche, je tente d'identifier chacune d'entre elle.

Ce que je ressens, ce n'est pas de la peur envers lui. Je le crois avec une confiance bornée et aveugle, presque étrange en vue de ces seules semaines que j'ai passé avec lui. Je connais l'existence de ses addictions, de ses peines et de ses joies depuis si peu de temps, mais j'en suis sûr : il n'aurait pas pu commettre un crime par désir. Chaque souvenir où je le vois sourire sans mentir, ou se cacher parce qu'il se trouve trop laid, dissuade l'inquiétude de s'emparer de moi. Peut-être a t-il dû se défendre et commettre l'irréparable.

Non... je n'ai pas peur du meurtrier qu'il a pu devenir.

J'ai peur de ne pas pouvoir être à la hauteur.

Après un truc comme ça, c'est tout bonnement impossible de l'atteindre. C'est égoïste et con, mais j'ai peur pour moi-même. Peur qu'une relation que j'attendais tant s'effondre en un instant. Car je suis loin d'être parfait, loin d'être assez bien pour le supporter. 

Je peux être si idiot et maladroit, que je brise tout ce que je parviens à obtenir. Je me laisse atteindre par mes passions aussi facilement que j'ai laissé Jonathan s'approcher de moi.

Oui, il s'est approché de moi, un pauvre fils à maman qui pleure la disparition de celle-ci alors qu'il a du sang qui lui coule des mains. Alors qu'il souffre si douloureusement pour sa faute, que ses tourments le poussent à quitter la vie.

Je me sens pitoyable d'encore espérer quoique ce soit du Jeu qui nous liait, quand l'un des joueurs dépasse largement l'autre de ses addictions à effacer.

De ses fautes à racheter.

Je me sens coupable pour avoir vu en lui un simple acteur aux yeux spéciaux, charmant, quoiqu'un peu niais, presque sans intérêt. Un mec comme lui ne peut pas avoir de problèmes. C'est ce à quoi j'ai pensé quand je l'ai vu pour la première fois, sur le seuil de ma porte.

Je suis abattu, car jamais je ne pourrais rétrécir l'écart entre nous. Jamais Jonathan, avec ses sourires faux et sa carapace dorée, ne voudrait me dévoiler une seule de ses failles. Je ne lui ai même pas tout dit, de mes secrets aussi bien cachées que les bouteilles que je ne trouve pas. Jonathan est un papillon à la beauté gracile et fragile qui vole contre le vent en s'acharnant et en périssant. Et je n'aurais de cesse de lever la main pour l'attraper sans jamais y parvenir.

Le Jeu [B&B]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant