Ses yeux...

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Jonathan

Je laisse couler l'eau sur ma peau, les gouttelettes brûlantes ruissellent dans mes cheveux. J'attends l'eau salée qui devrait dégringoler sur mes joues, mais rien ne vient. Je stocke la douleur et la frustration sans pouvoir m'en soulager rien qu'un peu, sans doute par lâcheté. Je ne peux pas me montrer comme il le fait. Pleurer, crier et déraper, je ne peux pas faire cela. Alors je me cache derrière un sourire et j'oublie que je devais avancer. Je reste longtemps sous la douche comme si j'espérais que l'eau suffirait à enlever ma colère. Car je m'en veux, à en frapper contre les murs à coups de poings furieux. Lorsque je me poste devant le miroir, je me trouve dégueulasse. Ce regard vairon et bizarre n'a aucun artifice, aucune clarté. Je me regarde comme si je voyais un mort, un visage plus ou moins beau qui n'a pourtant aucun charme. Je me sèche, je m'habille, je me coiffe et me parfume en pensant à ces autres yeux. Je mets mes mocassins noires en me rappelant de ces boucles, et enroule une écharpe autour de mon cou en imaginant cette peau hâlée. Je donnerais tout pour m'échapper dans ce chalet et boire son chocolat en regardant des films ou une vue magistrale. J'évite le dossier qui comprend la fiche de mon personnage et le scénario, encore posé sur la table. Je ne veux même pas y toucher.

Je m'empare de mon portable pour contacter Min, lui informer que je suis prêt et qu'il peut venir me chercher, mais je suis très vite attiré par une rumeur singulière qui vient d'en bas. J'atteins mon balcon et admire une foule de personnes qui s'attroupent en cercle autour d'un point. Il y a des flashs qui brillent dans la brume matinale, des murmures par centaine, amplifiés par certains cris. J'entends quelqu'un demander un autographe, je vois un autre regarder le point d'un air estomaqué. Je m'attarde sur ce point, objet de toute l'attention, de tous les regards.

Un homme.

Il se tient avec désinvolture, les mains fourrées dans ses poches, sans lunettes, sans casquette, sans garde du corps ou agent. Comme un passant ordinaire, planté au milieu du trottoir, la tête levée vers un balcon qui m'a tout l'air d'être le mien, il attend patiemment. Sans se soucier une seule seconde des demandes d'autographes, des médisances, des médias qui le prennent en photo, il attend. Un instant, je crois que ses yeux trouvent les miens, ahuris. Un sourire semble se dessiner sur ses lèvres, et la foule autour de lui devient fade. Une couleur pastelle dans un monde brumeux et gris.

Jace Alexander sourit, et j'aperçois la surface. 

.   .   .   .   .   .   .

Il aspecte mon appartement, en faisant le tour comme si il était chez lui. Il passe un doigt sur le plan marbré de la cuisine, se laisse tomber sur un fauteuil, et fixe le lustre au milieu du salon.

- Wouaw, mon chalet à dû te paraître assez... rustre.

- J'aime ton chalet, il est plus chaleureux que... tout ça.

Il revient sur moi, et me fait ce même petit sourire charmeur. Le fait-il avec tout le monde ? Qu'avec celles qu'il veut séduire ? Mais... et moi ?

- T'allais partir ? demande t-il subitement. Tu as ton manteau.

- Ah je... j'ai un rendez-vous avec un réalisateur.

Son sourire s'éteint à la minute où je termine ma phrase. Merde. Il s'enfonce un peu plus dans le canapé et plonge à nouveau ses mains dans ses poches. Ses yeux me transpercent.

- Tu veux... boire quelque chose ?

- Qu'est-ce-qui se passe ?

- De quoi tu-

- Pourquoi tout d'un coup, tu veux plus faire le film ?

Ses yeux sont des mitraillettes.

- J'ai vu le scénario et la fiche de mon personnage et... ça ne m'intéressais plus vraiment.

Le Jeu [B&B]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant