La limite

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Jace

Je regarde Jonathan fendre la foule, ouvrir la porte-vitre et disparaître un peu plus loin sur la terrasse. J'hésite à le suivre, à lui demander si il souhaite s'en aller, ou si son état n'est que passager. Mais je reste planté là, et mon hésitation dure bien le temps qu'untel et untel viennent me parler. Je passe le début de la soirée à recevoir des éloges de la part de ceux qui en pensent bien moins. Je le vois, dans leur yeux exorbités par la surprise, de me voir là et la curiosité de se retrouver face à Jace Alexander. Tout ce qu'ils veulent savoir, ce sont mes scandales, mes pensées avant de commettre un délit, mes passages brefs en prison et mes soucis d'alcool.

Je le vois aussi clairement que le malaise de Jonathan lorsqu'il a aperçu cette maison, et je ne saurais dire si cela m'agace ou m'attriste.

Du coin de l'œil, j'observe Jonathan converser avec Laury. Il l'a regarde comme si... il analysait au microscope une bactérie sur une fine lamelle transparente. Je suis amusé jusqu'à ce que je comprenne que notre nouvelle réalisatrice trouble Jonathan a un point qu'il ne peut plus esquisser son fidèle sourire protecteur.

Au moment où Laury réapparaît dans le salon et que je pars rejoindre Jonathan, quelqu'un m'interpelle. Une voix familière et plutôt forte.

- Jace ?

Je pivote sur moi-même et tombe sur une fille, plutôt petite, le teint très pâle et de grands yeux marrons. Ses cheveux blonds sont aussi roses, violets, bleus et oranges. Elle est trop maquillée, et ses vêtements excentriques sont un mélange entre le gothique et le punk.

Je m'arrête net.

Alors voilà, j'ai bien dit que j'ai eu l'exploit de me faire quatre amis au cours de ma vie éblouissante et en même temps tout à fait merdique : Maman, Mira... cette fille loufoque qui me jauge avec la bouche peinte en noir et ouverte de stupeur.

Bridget.

- Qu'est-ce-que tu fous là ? demande t-elle, les yeux écarquillés. T'étais pas censé être un alcoolo replié dans la forêt ?

- Merci, Bridget.

- De quoi ?

- D'avoir gardé ton franc parler.

Elle me toise, le front fièrement levé, alors qu'elle fait bien deux têtes de moins que moi. D'un signe discret, elle m'invite à la suivre. Nous montons un petit escalier pour arriver à l'étage. Elle pousse la première porte venue, pénètre la chambre d'un inconnu, et se jette sur le lit sans honte ni gêne.

- On s'entendra mieux ici.

Elle rebondit sur le matelas en poussant un long soupir. J'allume la lumière, et laisse mes yeux parcourir et découvrir une chambre neutre qui n'a pas d'empreinte ni d'identité. On ne sait pas si elle appartient à un enfant, une adolescente, ou un jeune homme. Un lit, un bureau, une armoire, une peinture beige, c'est tout. Il y fait froid, comme si plus personne ne venait dormir ici, plus aucun mouvement, aucune trace ni chaleur. C'est comme statique, mobile, une chambre de poupée.

Je m'assieds sur le lit.

- Alors, qu'est-ce-que tu fais là ?

- Je croyais venir à un meeting professionnel, pas à une fête. Je vais jouer dans le même film que toi, on dirait.

Un sourire déforme ses lèvres noires.

- Tu touches plus à l'alcool toi.

- Et qu'est-ce-qui te fais dire ça ?

- Je sais pas, dit-elle en haussant les épaules. Tu sembles respirer. Avant, j'avais l'impression que tu étouffais sans cesse. Plus le temps passait et plus tu étouffais avec tes conneries. Mais là... tu m'annonces que tu vas jouer avec moi et je te vois respirer.

Le Jeu [B&B]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant