Un homme amoureux

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Jonathan

Voilà. Je l'ai dit. Plus aucun détour et un secret en moins. Je croyais... que le dire me soulagerait d'un poids. Mais l'effet n'est pas escompté. Le lui avouer... me l'avouer, me fait comprendre à quel point je suis complètement con. À quel point tout ça est absurde. Je sens son regard sur moi comme autant de brûlures qu'on me ferait avec une barre en fer brûlante. C'est incroyable comme l'on peut se sentir régresser face à une personne qui est plus solide que nous. Plus beau, plus vrai, plus que ce qu'on est. Leur lumière nous fait de l'ombre à nous, faibles d'esprit qui sommes envieux, jaloux, et petits. J'aurais pensé qu'avoir Jace à mes côtés m'aiderait à passer le cap, mais j'avais tout faux. C'est pour cela que je garde désespérément Min auprès de moi. Parce qu'il n'est pas aussi beau. Parce que je ne me sens pas aussi moche et idiot face au pervers narcissique qu'il est.

Mais je ne suis pas à la hauteur de Jace. Je ne pourrais même pas atteindre ses pieds. Et le comprendre me tue.

Je m'attends à ce qu'il me console, qu'il passe une main maladroite dans mes cheveux, qu'il tente de me faire rire par n'importe quel moyen. Parce que sous ses airs de rebelle sans cœur, sa douceur n'a aucune limite. S'il tentait de me prendre dans ses bras, cela ne me surprendrait pas. Mais je le vois se lever, et enlever ses vêtements. Il fait valser ses chaussures et son jean, retire son grand pull, puis son tee-shirt, avant de terminer par ses chaussettes. Debout en caleçon, il est immobile comme une statue grecque, terriblement sexy.

- Qu'est-ce-que...

- Tu viens ?

- Venir... où ?

- Au fond.

- Tu plaisantes ?

- Non.

Il me tend une main afin de m'aider à me relever, et je la prends sans savoir ce qu'il trame. Il m'encourage à enlever mon manteau et le reste de ma tenue au plus vite.

- Aller ! J'ai pas que ça à faire.

- Mais... Tu vas vraiment m'accompagner jusque là-bas ?

- Ah non. Je fais juste un petit bout de chemin avec toi. Après tu fais ce que tu veux.

- C'est... une plaisanterie ?

- Non, Jonathan. Si tu veux rejoindre le fond, vas-y. Bon maintenant tu vas me retirer ce pantalon.

Jace sautille d'une jambe à l'autre et se frictionne les bras avec les mains. Il ose mettre un pied dans l'eau qui je le sais, est glaciale. Puis il en met un autre, jusqu'à ce que ses mollets soit immergés.

Est-ce-que je rêve ?

Ça doit être ça. Dans les pires moments, les cauchemars ont tendance à prendre le pas sur la réalité. Je dois vraiment être tombé bas pour que la mort prenne l'apparence de Jace afin de m'attirer vers le suicide. Mais quand il sort un :

- Putain de merde ! Cette eau va me geler les couilles !

Je sais qu'il n'a rien d'un rêve. Lentement, je retire mes vêtements, avant de finir en boxer. Je mets un orteil qui se replie instantanément au contact de l'eau. Ais-je vraiment envie d'aller me donner la mort dans cette mer froide ? Est-ce une sorte de test de Jace pour savoir si je serais capable d'aller jusqu'au bout ? Je mets un pied dans l'eau et tous mes poils se hérissent. Quand j'arrive à la hauteur de mon ''pote'', j'ai dans l'espoir qu'il me dise que c'était une blague, un test ou que-sais-je. Qu'il me prenne dans ses bras, qu'il fasse une chose censée.

Mais non, il continue et se met à nager jusqu'à ce que plus aucune lumière artificielle ne l'atteigne. Plonger mon corps entier dans l'eau est une torture aussi grande que de ne pas savoir ce qu'il se passe dans la tête de Jace.

Ni ce qu'il se passe dans la mienne.

Cela fait bien plusieurs minutes que nous n'avons plus pieds. Le rivage s'éloigne comme l'espoir d'y revenir, et la clarté de la lune nous éclaire assez pour nous voir. Quand Jace s'arrête, mon cœur fait une course folle.

- Voilà, je te laisse faire le reste du chemin.

- Tu ne vas pas essayer de m'arrêter ?

Il ne me répond pas. Mes yeux se sont habitués à l'obscurité, et la lumière projetée par l'énorme cercle blanc accroché dans le ciel d'ébène, souligne ses yeux bleus et ses longs cils noirs perlés d'eau. Ses boucles aux reflets auburn collent à son visage serein qui ne laisse aucune place au doute.

- Tu es vraiment sérieux ? dis-je avec un brin de désespoir.

- Et toi, tu l'es ?

Je suis glacé jusqu'aux os, et ma bouche ne peut bientôt plus s'empêcher de trembler. Mon corps est un frisson, et mon cœur un grand point d'interrogation.

Le suis-je ?

Oui. Je ne suis jamais aussi sérieux que dans les moments où les souvenirs de mon enfance viennent me hanter et me tuer à petit feu. Je ne veux pas... je ne peux pas vivre une seconde de plus quand les voix murmurent, quand les souvenirs me torturent. Quand elle vient dans un cauchemar pour me dire de ne pas oublier. La femme aux yeux verts qui embaume d'une fragrance insupportable. Mon monstre bien réel, bien trop fort.

Le suis-je ?

Non. Car je veux l'embrasser. Je le veux tout entier. Une nouvelle fois, je dois me faire violence pour ne pas lui arracher un baiser et laisser mes mains voyager sur son corps. Pour autant, ce n'est pas seulement un désir charnel qui se meut au fond de mon corps, mais une sensation curieuse et douce qui palpite dans mon ventre à chacun de ses regards. À chacun de ses rires, au son de sa voix.

Et soudain, ça sonne comme une évidence.

Comment ais-je fais pour ne pas le voir ?

Depuis ce jour où je l'ai aperçu dans cette forêt vierge, j'étais tombé. Et chaque jours après cela, chaque heure, chaque minute, c'était juste là. Je pensais que ce n'était qu'un désir comme un autre, que je voyais comme une nouvelle distraction qui m'ennuierait aussitôt. Je croyais qu'après un tour de manège, je serais rassasié.

Mais la vue a dû trop me plaire, car j'en souhaite un autre.

Encore et encore, je veux m'étourdir avec ses sourires et m'amuser d'un rien. Je veux monter dans cette grande roue avec lui pour un tour qui ne cessera jamais. Comment ais-je fait pour ne pas le remarquer ?

Je veux le voir.

Je veux le sentir, le toucher, l'embrasser.

Je veux l'aimer.

Je le regarde, flottant dans une mer glacée qui aura notre peau, sans parvenir à dire quoique ce soit. Ça n'a rien à voir avec ce que je ressens pour Min. Je suis si obsédé par lui car il ne me voit pas comme cet acteur charismatique au sourire facile, mais pour ce que je suis réellement. Il sait à quel point je suis dégueulasse. Et même si il ne s'empêche pas de me le faire remarquer avec ses réflexions mauvaises, ses pics vénéneux et ses insultes douloureuses, il ne m'a jamais laissé tomber. C'est pour ça que j'ai tant besoin de lui. Pas parce que je l'aime, mais parce que je sais qu'il ne partira pas.

Et Jace que j'aime comme je n'ai jamais aimé personne auparavant partira si je lui révèle mon secret, c'est certain. J'ai peur, à en mourir sur place.

Je suis pris au piège. Je l'ai été à l'instant où j'ai posé mes yeux sur ce garçon en larmes, au regard bleu incroyable, qui scrute le ciel avec cet air indescriptible. C'est dingue, comme mon cœur me paraît si lourd. Tomber amoureux, ce n'est pas comme dans les films. J'en ai pourtant joué, des amants transis et désespérés au cinéma, mais je ne croyais pas qu'un amour était si lourd à porter. J'ai la gorge nouée et je suis loin de me sentir comme une plume. C'est agréable et abominable. Tout serait si simple si j'arrivais à cesser de le regarder, cesser de l'aimer, et me casser de là. Aller mourir dans ces tréfonds qui m'attiraient encore il y a quelques instants.

Jace Alexander, acteur déchu à seulement 25 ans, alcoolique et délinquant repenti. Talentueux, ravageur au sang chaud. Fils à maman et solitaire.

Et pour finir, l'homme dont je suis tombé amoureux.

Comment esquisser le moindre pas vers la mort lorsque je le comprends enfin ?

Le Jeu [B&B]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant