Chez moi

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Jonathan

De Boston dans le Massachusetts au chalet de Jace perdu dans une forêt du Maine, nous avons voyagé toute la journée. Depuis cette nuit magique, Jace ne m'a plus lâché. Moi qui pensait le déranger tout le séjour en me collant à lui, ses nombreuses démonstrations d'affection m'ont prises de court. Je croyais qu'il n'était pas possible d'aimer plus, d'être plus heureux. Mais avec cette déclaration, avec la certitude que mon amour désespéré est réciproque, Jace me fait vivre la sensation d'un manège sans fin. Lorsque je me retrouve de nouveau dans cette chambre, devant cette fenêtre ouverte sur un passé désastreux, la douleur est encore si vive. Je ne m'attends pas à ce qu'elle disparaisse entièrement. Mais aujourd'hui, je ne reste plus sur place. Quelque part, je voyage vers la destination que j'ai choisie.

Quand nous sommes arrivés au chalet, il faisait déjà nuit. Nous nous sommes faufilés dans sa chambre en silence afin de ne pas la réveiller, puis nous sommes allés nous coucher aussi anodinement que le ferait un couple banal.

Un éclat de verre brisé me tire des rêves. La lumière tente vainement de s'introduire à travers les épais rideaux de la chambre de Jace qui, le sommeil visiblement profond, n'a pas bougé d'un centimètre. Je sens son souffle régulier sur ma peau. Je n'aurais pas désiré meilleur réveil que celui-ci. Je réussi à me dégager de lui en résistant à l'appel de son corps dénudé scandaleusement séduisant, à peine couvert du drap dont je m'extirpe. Silencieusement, je revêts l'un de ses t-shirts trop grands ainsi qu'un short que je vole dans son placard dans l'espoir de pouvoir le faire tous les matins. Quand je me retrouve, quelques secondes plus tard, devant la femme qu'il a cherché durant cinq interminables années, je regrette ma tenue négligée. Accroupie, elle ramasse du bout des doigts des morceaux de verres qu'elle dépose ensuite dans sa main libre. J'ai à peine le temps de passer une main dans mes cheveux désordonnés, qu'elle lève deux topazes bruts vers moi. Ses deux yeux, deux portes ouvertes sur la vue d'un ciel sans limite, me dévisagent avec surprise. Ils sont hypnotisant. Un instant, mon assurance habituelle tombe à mes pieds, je crois que c'est un don de la famille Alexander de me faire perdre toute crédibilité. Quand elle se met à sourire, je comprends pour quelle raison Jace l'a toujours cherché. Elle se redresse, jette les morceaux dans une poubelle, et vient m'enlacer comme si l'on se connaissait depuis toujours. Elle sent la camomille et l'eau du lac, comme si elle avait décidé d'y faire un saut.

- Ravie de te rencontrer, Jonathan. Jace m'a tant parlé de toi que pour moi, c'est comme si tu faisais déjà parti de la famille. J'espère que tu n'es pas gêné par le contact, on m'a souvent reproché d'être trop tactile.

Je secoue vigoureusement la tête d'un air idiot que je regrette tout de suite.

- Je suis également heureux de vous rencontrer. J'ai moi aussi tant entendu parlé de vous que j'ai l'impression de bien vous connaître.

- Pas de vouvoiement entre nous ! Je te l'ai dit, tu fais partie de la famille.

Je l'aide à ramasser les derniers morceaux de verres tout en contenant mon sourire béat. Le mot ''famille'' me fait vibrer de bonheur. J'ai encore envie de pleurer.

- Ne dis pas à Jace que j'ai encore cassé une tasse s'il te plaît. Il va me sermonner.

- J'emporterai ce secret dans la tombe.

Elle rit. Sans nous concerter, nous nous mettons à préparer le petit déjeuner dans une légère complicité. J'avais imaginé ma rencontre avec elle de bien des façons, mais cuire des pancakes en parlant de banalités ne m'était pas venu à l'esprit. Elle a le sourire facile et donne l'impression de pouvoir mettre n'importe qui à l'aise.

- Je dois m'excuser pour une chose, dit-elle soudain. J'ai pioché quelque-uns de tes mots dans la boite à déclarations.

- Étaient-ils mauvais ?

- Je les ai trouvé magnifiques. Et Jace...

- Il n'a pas aimé ? Je savais que c'était trop niais. J'aurais peut-être dû...

- Il les a adoré. Ne dis pas à Jace ce que je vais te dire mais...

Elle s'avance et se hisse sur la pointe des pieds pour atteindre mon oreille droite.

- Jace les a tous lu. Il remettait les bouts de papier dans la boite et piochait plusieurs mots les jours où il ne se sentait pas bien. Il pouvait piocher jusqu'à dix mots et les réciter sans même y jeter un œil. Il croit que je ne l'ai pas vu se languir devant ton écriture.

Elle ne fait aucun commentaire sur mon visage rougissant et se contente d'un sourire moqueur. Ses longs cheveux, légèrement trempés, ont la couleur du soleil. Je me demande comment était le père de Jace. Visiblement, à part leurs yeux bleus incroyables, ils n'ont aucune ressemblance physique. Aucune similarité physiologique mais... une même spontanéité dans le sourire, une même douceur dans le regard. J'ai soudain l'envie de la connaître mieux, d'être, mise à part son gendre, un ami.

Nous entendons des pas lourds à l'étage quand nous finissons de tout préparer. Avant que Jace n'apparaisse dans la cuisine, elle presse l'une de mes mains et me dit avec l'expression qu'aurait une mère lorsqu'elle parle de son enfant.

- Prends bien soin de lui. Je te le confie.

À la place de répondre par un simple « je le ferais », je hoche frénétiquement la tête avec cette même expression idiote et heureuse que tout à l'heure.

Jace nous fait face, les yeux plissés. Il a enfilé un haut dans le mauvais sens et le bas de son pyjama révèle une étiquette qui n'est pas censée se voir. Il traîne jusqu'à nous, m'embrasse puis prend sa mère dans ses bras en une rapide étreinte. Après avoir pris un tasse dans un placard et s'être servi du chocolat à ras bord, il s'assied lourdement sur une chaise.

- Maman, je te présente mon petit-ami, Jonathan, dit-il d'une voix ensommeillée. Jonathan, je te présente ma mère. Appelle-là juste Hélène.

- Quelles merveilleuses présentations tu nous fais là mon fils.

- Je suis fatigué.

- Tu aurais dû dormir plus longtemps, rétorqué-je.

- J'ai senti l'odeur du chocolat, j'ai pas pu résisté. Mais c'est moi ou...

Il se lève en trombe, s'avance jusqu'à Hélène qui tente de s'écarter, et renifle ses cheveux, maintenant totalement réveillé.

- Tu es encore allée faire un tour dans le lac ? Maman je t'ai dit que l'eau est sale ! Dis-lui Jonathan, que l'eau est sale.

Je bois une gorgée de ma tasse de chocolat en regardant ailleurs.

- Ouais fais comme si t'avais pas entendu. Et toi, tu viendras pas te plaindre quand tu auras des verrues sur le visage.

- Dis le négligé qui n'est même pas capable de mettre un pyjama correctement, on voit l'étiquette de ton bas ! Dis-lui Jonathan qu'il devrait s'occuper de ses affaires avant de me sermonner.

- Mmmh vous n'avez pas faim vous ? Parce que moi...

- Tu vas devoir t'habituer à nos querelles, sourit-elle.

- Y'aurait pas de querelles si tu arrêtais de te baigner dans le lac et si tu cessais de casser des tasses !

- Comment as-tu...

- Tu crois que j'ai pas remarqué que ma tasse mickey avait disparue ?

Ils ont continué ainsi durant tout le déjeuner. Se chamaillant, se réconciliant, riant, en m'intégrant dans leur quotidien.

Et je peux dire, avec la plus grande des certitudes.

Que je n'avais jamais eu autant l'impression d'être chez moi.


Le Jeu [B&B]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant