Laury Harper

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Jace

Dans le quartier de Downtown Boston, plus particulièrement dans le Quartier des Théâtres, j'attends dans le froid et le vent qui souffle déjà sur la ville au petit matin, alors que la brume nous trouble. Adossé à un poteau, vêtu cette fois-ci de sorte à ce que l'on ne me reconnaisse pas, j'ai les yeux fixés sur l'immeuble trop luxueux de Jonathan, qui fait tâche au milieu des petits cafés et des échoppes dont la lumière des enseignes illuminent à peine dans le brouillard et dans les yeux éteints de tous ces gens qui marchent presque sans voir où ils vont. Je meurs d'un désir brûlant lorsque je vois une femme entrer dans un café, s'asseoir sur un fauteuil près des vitres, pour savourer quelques instants plus tard un croissant et un bol de chocolat fumant que j'ai l'impression de sentir d'ici. Je reporte mon attention sur l'immeuble, le balcon au septième étage, l'homme qui ne sait pas si il doit jouer le jeu ou non. J'aimerais le sortir de là. L'emmener au chalet. L'entraîner loin de Sang Min. Et casser le nez de celui-ci, avant de lui mettre un tel coup dans les couilles qu'il n'oserait plus se relever. Lorsque je l'ai vu entrer dans l'appartement de Jonathan, je me suis vu retomber dans mon passé. Un instant, je me suis noyé dedans, et j'ai été ballotté par des vagues de colère et de chagrin. J'aurais voulu lui tordre le cou, ou partir sans adresser un mot à Jonathan. Mais sa présence m'a ramené à la surface.

Je n'avais jamais eu autant envie d'aider quelqu'un d'autre que lui avant aujourd'hui, ici, dans cette rue où je risque de me faire repérer. Je n'arrive pas à bouger de cette place malgré l'attente.

- Excusez-moi.... ne seriez vous pas Jace Alexander ? me questionne soudain un homme emmitouflé sous une doudoune immense, une écharpe recouvrant la moitié de son visage, caché derrière des lunettes teintées.

Je tressaille, pivote comme un automate, prêt à prendre la fuite. Un rire éclate, l'homme me retient. Il baisse un peu son écharpe et soulève discrètement ses lunettes. Un œil vert, un autre bleu, un sourire comme un soleil. Je lui donne un coup dans l'épaule.

- Tu m'as fait peur, imbécile.

Il se contente de me sourire et de réajuster ses lunettes et son écharpe. Je l'invite à ne pas trop traîner lorsque j'aperçois des photographes louches rôder aux alentours.

- Comment tu as fait pour me reconnaître ? Je suis pourtant bien camouflé.

Une casquette surplombée d'une capuche, une blouse remontée jusqu'au cou et une écharpe bien plus épaisse que la sienne, on ne voit que mes yeux et mon front.

Il sourit.

- Je suis passé plusieurs fois à côté de toi, sans que tu me reconnaisses. J'ai tout de suite vu tes yeux bleus et senti ton odeur.

- Quoi, je pue ?

- Non, dit-il dans un joli rire, tu sens le pin et le bois. Tu t'es tellement imprégné des effluves de la forêt que j'arrive encore à sentir le parfum de la terre dans une ville.

- Et toi tu sens un parfum de femme, dis-je en le reniflant.

Jonathan s'écarte un peu puis s'arrête pour acheter un magazine d'un vendeur ambulant et courageux dans ce froid humide. Je ne vois pas son sourire, mes ses yeux se plissent et étincellent.

- Il y a une nouvelle mode : Le Bûcheron nonchalant de Jace Alexander, avec docs, vieille blouse défraîchie et chemise à carreaux trop grande. Pour finir, le bonnet sur les boucles brunes, légèrement auburn, fait craquer tout le monde.

- De quoi tu...

Il me montre le magazine où un homme, les mains dans les poches, la tête levée vers un balcon, prend la place entière de la couverture. Autour, il y a une foule, et personne ne sait que ce garçon est presque entrain de se mouiller la culotte. J'ai l'air tellement détendu, sur cette photo où je souris, que je ne me reconnais presque pas. Et... merde, Mira va me tuer.

Le Jeu [B&B]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant