Chapitre 9

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"L'habit ne fait pas le moine, mais le crime, ou sa présomption, fait le détective, et particulièrement le détective amateur."

Le prisonnier du ciel. Carlos Ruiz Zafón














Mathieu conduisait depuis plus de deux heures, et aucun des frères n'avait prononcé un mot. Dehors, la lumière du jour commençait juste à percer au travers des branches, se reflétant sur les feuilles colorées d'Automne. Peut-être que les oiseaux chantaient, mais alors, le bruit constant du moteur venait taire leur mélodie.

Comme souvent, Erwan s'était laissé emporter par le flot de ses pensées. Jane, Jane, Jane.
Il n'avait plus qu'elle en tête. Il se demandait encore pourquoi elle n'avait pas parlé au téléphone.

C'est à cet instant qu'un nouvel objectif se forgea dans son esprit. Incapable... il serait incapable de rester caché d'elle un temps indéfini...

Il se fit la promesse de trouver un moyen de s'échapper de l'emprise de son frère, peu importe le temps que cela lui prendra, et les conséquences. Erwan se redressa, sa tête quittant alors l'appui qu'elle avait pris sur la vitre. Il s'étonnait des mots qui pouvaient venir à sa pensée. Emprise...j'ai vraiment pensé ça... ? Il soupira.

Parfois j'ai l'impression que mes pensées sont décidées pour moi...

- Pourquoi tu soupires ? Tu veux qu'on s'arrête ?

Erwan avait presque oublié la présence de Mathieu. Si bien que sa voix le fit sursauter.

- Oh, non, non rien. J'ai dû me perdre dans mes pensées. On roule depuis longtemps ?

- Près de 3 heures. Je me sens un peu engourdi. On se trouve une aire pour déjeuner en express ?

- Ok.

Désormais, Erwan avait décidé de garder pour lui les réflexions des récents évènements. Il avait bien compris que le seul objectif de son frère, c'était de l'éloigner de sa famille, et qu'il ne voulait plus entendre parler du reste. Mais Erwan savait que de la part de son frère, c'était plus une sorte de déni qu'un véritable courage.

Parce que pour lui, le véritable courage aurait été de rester.

Mathieu entreprit une manœuvre de créneau sur l'aire d'autoroute. Pour Erwan, il s'y prenait comme un pied. Habituellement, cela l'aurait fait rire. Mais non seulement, il avait l'impression que le rire lui était devenu étranger, mais surtout son frère était devenu trop imprévisible.

- Putain ! Hurla Mathieu en cognant la voiture arrière.

Comme pour venir narguer son insulte, l'alarme de la voiture se déclencha alors, hurlant comme une moquerie incessante.

- Fait chier ! Sors de la voiture Erwan, vas m'attendre à l'intérieur, et pas de connerie ! Sors je te dis !

Erwan détacha sa ceinture en quatrième vitesse, et manqua de tomber en ouvrant la portière. Il rentra dans le magasin et se cogna dans un homme. Se frottant la tête, il s'excusa avant de regarder l'individu.

- Bouge de là, petit, ordonna le grand baraqué. Il semblait franchement en colère.

Erwan s'était figé, était pétrifié. Pas par son allure non, mais par ses vêtements. Bleu, de haut en bas. Un badge sur la poitrine.

Un policier.

L'homme passa à côté de lui sans un regard, mais Erwan se retourna, le regardant partir. Il allait... vers son frère.

Pourquoi fallait-il que le propriétaire de l'unique voiture que son frère avait embouti soit celle d'un policier ?

Mais une nouvelle fois, rien sur le visage de son frère qu'il observait au travers des vitres ne laissait penser qu'il avait peur, ou qu'il mentait. Il sortit calmement ses papiers, et parvint même finalement à faire rire l'homme face à lui.

- Incroyable.

Ce mot venait de lui échapper.

- Vous le connaissez ?

Erwan n'avait même pas remarqué qu'il s'était appuyé sur le comptoir. Le vendeur le fixait, l'air neutre.

- Je euh... c'est... non... enfin si ! C'est ... c'est mon frère. Il...il est rentré dans sa voiture et...

- Eh ! ça va, ça va petit, répondit le marchand en riant, accompagnant ses paroles d'une claque sur l'épaule du jeune brun. Respire ! Je trouvais ça chouette que ton frère ait réussi à calmer le mien c'est tout ! Vous avez de la chance il n'est pas en service.
Vous êtes du coin ?

Erwan pris une grande inspiration et expira tranquillement. Il voulait y arriver.

- On fait un road trip, il nous reste encore dix jours.

Il n'avait répondu à sa question, mais l'avait détournée.

- Oh c'est super chouette ça ! Vous vous êtes arrêtés pour manger un bout ?

- Oui !

Erwan avait réussi. Il venait de réussir à mentir sans bégayer, et cela avec un grand sourire. Un frisson lui parcouru l'échine. Il se dégoûtait, autant que la capacité de son frère à mentir le répugnait.

Erwan fit un signe cordial de la main au vendeur et partit s'asseoir à une table. A part quelques bruits de vaisselle et le son de la télé, la boutique était plutôt silencieuse.

Son frère rentra, salua le vendeur, commanda deux bacon-Burgers et vint rejoindre Erwan. Progressivement, la salle se remplit et le brouhaha se fit de plus en plus dense. Ne s'attendant pas à la moindre conversation passionnante, Erwan fixait la télé et se concentrait sur les paroles.

Il n'y vit d'abord rien d'intéressant, quelques pubs sans intérêt. Puis le journal commença, sur lequel il vit quelques image de Noël qui se préparait déjà... presque deux mois à l'avance.

Erwan réalisa alors. Ce serait peut-être son premier, tout premier Noël sans sa famille. Il avait envie de se dire qu'il rentrerait avant Noël. Mais il savait que quoi qu'il arrive, il était inutile de mettre la barre trop haute, puisque la magie de Noël, elle, ne serait jamais plus présente.
Il reporta son attention sur le fait divers suivant.

« ... tentative d'assassinat dans le Var il y a maintenant 4 jours. L'homme se trouve toujours dans un état critique et pourrait succomber à tout instant. Son épouse, absente lors des faits, n'a aucune preuve ou indice pouvant expliquer la situation. Il semble que sa fille n'ai pas prononcé un mot depuis le terrible événement, probablement encore sous le choc. Les deux frères sont portés disparus, et plusieurs hypothèses laisseraient penser que l'aîné serait coupable. Il aurait potentiellement enlevé son plus jeune frère, sans doute menacé par le père... Cependant tout ceci ne reste qu'à l'état de suppositions... voici.... »

Erwan fixait la photo de son frère sur l'écran, incapable d'esquisser le moindre mouvement. Sa respiration s'était bloquée, il venait d'oublier comment on respirait.

Son frère, lui tenant fermement l'avant-bras, le tirait déjà vers la sortie, lentement, profitant de la foule qui entrait. Erwan n'entendait plus le brouhaha, et si son frère lui parlait, il ne l'entendait pas. Il ne percevait qu'un sifflement strident, hurlant dans ses oreilles.

Son frère le poussa dans la voiture, et lui mit sa ceinture. Il devait être en train d'hurler des injures. Erwan haletait à présent, et n'avait aucune idée de comment se calmer.

Il était sous le choc.
Il tournait et retournait une chose... une unique chose dans son esprit.
Le reste, il s'en foutait.


Son père.
Son père allait certainement mourir.

SymptômeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant