Chapitre 19

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Malgré les événements et la fatigue qui l'avaient accablé, Erwan n'avait pas passé une nuit sereine et reposante. Après tout, il lui semblait que ces adjectifs avaient déserté ses nuits depuis des semaines. Il avait le sentiment que jamais plus, il ne retrouverait véritablement le sommeil.

Lorsqu'il n'était pas retenu par ses insomnies, des cauchemars le réveillaient en sursaut, et il s'apercevait chaque fois qu'il était en nage. Cette désagréable sensation d'humidité l'empêchant de se rendormir ensuite, il se levait toujours, dans l'espoir de se changer les idées.

Cette nuit-là donc, il avait décidé aussi de se lever, après d'infructueux essais pour se rendormir. La douleur s'était un peu estompée, mais il avait terriblement faim.

En ouvrant la porte de la chambre, il réalisa que la jeune fille lui avait laissé son propre lit, alors qu'elle aurait pu le mettre dans n'importe quelle chambre de l'hôtel.

Erwan se demandait où elle avait passé la nuit.

En arrivant sur le palier, il réalisa également qu'elle avait dû le porter dans l'escalier. Il n'était certes pas en surpoids, mais la formation de pompier volontaire ne l'avait pas épargné non plus...

Le cœur du jeune homme manqua un battement quand il réalisa.

Et si elle s'est fait aider, et que finalement elle est de mèche pour me soutirer des informations pour les médias, ou même la police ?

Erwan n'avait pas le courage de retenter une expérience de fuite, mais il se promit à cet instant de se montrer prudent. Après tout, il comptait bien parler à la police à propos des faits, il le devait. Mais il avait absolument besoin de voir sa famille avant. C'était crucial. Et c'était bien sûr pour cette raison notamment que son frère l'avait empêché de partir.

Son frère...

Erwan se dit également qu'il allait devoir affronter le flot des médias. Il était certain que l'affaire ne pouvait être totalement étouffée. Elle devait être attendue par les téléspectateurs quotidiennement, comme l'ont attend son feuilleton favori, à la recherche du moindre indice croustillant. C'était ce type de nouvelle  qui permettait de penser avec satisfaction que le quotidien était un peu moins banal chez les autres.

Le jeune bouclé allait devoir s'y confronter, pour au moins avoir des nouvelles de son frère, et de sa famille peut-être...

Tout en se perdant un peu plus dans ses pensées et ses plans pour les jours à venir, Erwan attrapa un morceau de pain et une pomme dans la cuisine, et sortit de la maison, avant de s'asseoir sur la petite marche devant la porte d'entrée. La vue de la cour lui rappela la première dispute avec son frère, ou plutôt, la première fois qu'il avait osé se confronter à lui depuis leur départ.

Mais ce jour-là, son frère avait retourné les phrases d'Erwan contre lui, et il avait eu raison. Erwan n'appréciait pas lui accorder ce privilège d'avoir eu les mots justes. Mais ce jour-là, il n'avait rien répliqué, tant la vérité à propos des choix avait été cinglante.

Mais avec du recul, Erwan réalisait que tout n'avait été qu'une question de choix, mais davantage de maîtrise.

Novembre touchait à sa fin, et la température semblait chaque jour être plus basse.

La position du jeune homme, ainsi que la vapeur qui s'échappait de son corps à chaque expiration lui rappelait cette première nuit d'hôtel, celle où il avait parlé à cette vieille dame. Elle lui avait inspiré beaucoup de sympathie, et il se surprit à regretter de ne pas lui avoir demandé de l'aide.

Peut-être que les événements auraient été ensuite moins intenses. Peut-être que tout aurait été plus simple... peut-être.

«  Tu aimes avoir froid on dirait ? »

La voix de Jane, sa sœur. Erwan avait le sentiment de devenir chaque jour un peu plus fou, et voilà qu'il entendait la voix de sa sœur.

Mais son impression de folie le quitta lorsqu'il sentit une couverture être déposée sur ses épaules.

Adaline, sans un mot supplémentaire, s'installa à ses côtés, et lui tendit une tasse fumante. L'odeur de l'infusion qui envahissait les narines d'Erwan lui donnait déjà le sentiment d'avoir moins froid. Il reconnaissait des parfums de citron et de cannelle. C'était ce que sa mère lui donnait quand il était malade, en lui parlant de Grog.

Erwan offrit à la jeune fille un regard de remerciement, auquel elle répondit par un sourire apaisant.

- Donc, ça ne t'as pas suffi de frôler la mort avec l'hypothermie d'hier ?

Erwan replongea son regard sur l'obscurité qui s'étendait face à eux.

- Disons que le froid me remet les idées en place quand je... quand je n'arrive pas à dormir.

Adaline esquissa un faible sourire avant de murmurer :

- Je croirais entendre mon frère.

Erwan n'avait pas forcément envie d'engager une conversation familiale, mais tant qu'il pouvait éviter de parler de lui, cela lui convenait.

- Tu sais que tu pèses ton poids ? Enchaîna la jeune fille  en riant doucement. Ça n'a pas été évident de te monter à l'étage !

- Je me demandais justement comment tu avais fait, répondit Erwan, regagné par un sentiment de méfiance.

- C'est mon frère qui m'a appris ça. Dans l'urgence, il faut être capable de déplacer un corps quand on est policier.

Le sang d'Erwan ne fit qu'un tour et il se leva brusquement. La couverture tomba au sol. Le mouvement renversa le liquide fumant de la tasse, brûlant les mains du jeune homme, qui par réflexe, lâcha la tasse qui se cassa au sol.

- Qu'est-ce que tu as ? demanda précipitamment Adaline, à présent inquiète face à la réaction du jeune bouclé.

Erwan recula d'un pas, en maintenant son regard plongé dans celui de la jeune fille. Il refusait de se faire piéger.

- Où est-il ?! demanda-t-il en regardant autour d'eux. A présent, il avait le sentiment d'être observé.

La surprise de la jeune fille céda pour faire place à de l'incompréhension.

- Où est qui ? Bon sang Erwan, qu'est-ce qu'il se passe ?

Le jeune homme n'en démordait pas. La phrase à propos du frère d'Adaline avait été pour lui d'une évidence implacable. Cependant il préférait garder une distance physique avec la jeune fille. Il ne se sentait plus du tout en sécurité.

- Tu es en lien avec la police c'est ça ?! Tu es chargée de leur donner des informations ?

- Quoi ? Mais qu'est-ce que tu...

- Ton frère ! Il est où ?! C'est lui qui t'as demandé de...

- Tais-toi ! hurla soudainement Adaline sans retenue. Tais-toi !

Elle se tenait à présent debout devant Erwan, qui la dépassait d'une bonne vingtaine de centimètres. Mais la hargne avec laquelle elle avait crié prouvait qu'elle ne craignait pas d'être menacée par le jeune.

- Si tu as tellement peur que je sois malhonnête, tu n'as qu'à partir, rien ne te retiens ici ! Je... j'avais juste envie de faire quelque chose qui me semblait juste ! Voilà comment on est remercié quand on veut aider ! Je comprends que tu te méfies de tout après ce que tu as dû vivre, mais là tu vas trop loin, Erwan !

Le jeune brun écoutait Adaline crier ces phrases d'une voix brisée par l'émotion. Des larmes roulaient sur ses joues en même temps qu'elle crachait toute cette rancœur. 

Il avait sans doute touché une profonde blessure. Il regrettait déjà de lui avoir attribué de cette méfiance qui lui rongeait les entrailles depuis des semaines.

- Mon...

Adaline semblait chercher un peu d'air entre chacun de ses mots.

- Tu n'as pas à...à avoir peur de mon frère.

La dureté du regard de la jeune fille semblait se mêler à une immense et inconsolable tristesse. Erwan recevait ce regard comme une gifle, et les mots qui suivirent lui firent l'effet d'une bombe.

- Mon frère est mort.

SymptômeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant